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n’est pas la république en elle-même que je redoute, je ne la crois pas possible ou au moins durable en Italie, mais c’est le despotisme et peut-être les Croates qui sont au bout. »

En plus d’une circonstance, M. d’Azeglio s’est montré bon prophète. Cette fois encore l’événement ne lui a que trop donné raison. L’entreprise de M. Mazzini a eu pour premier résultat d’amener les Croates à Turin ; demain peut-être les verrons-nous à Rome. Dieu veuille que les craintes de M. d’Azeglio ne se réalisent pas dans toute leur étendue ! Portant son regard au-delà de l’Italie et sur l’état général de l’Europe, M. d’Azeglio voit dans la situation actuelle le germe de graves périls pour l’avenir. La question, selon lui, est nettement posée entre l’Orient uni, compact, discipliné, et l’Occident divisé, affaibli par la discorde. L’issue de la lutte ne saurait être douteuse. Tout ce qui abhorre le désordre et la licence sera pour les Cosaques, et au milieu du conflit périra la vraie liberté. « Il me semble, dit-il, que la république travaille aujourd’hui de toutes ses forces au rétablissement de la monarchie, je ne dis pas seulement de la monarchie constitutionnelle, mais de la monarchie pure, voire du despotisme ! La terreur et l’échafaud de 93 effrayèrent-ils l’Europe autant que le parti qui a été vaincu sur les barricades de juin ? J’en doute fort. En 93, il n’était question que de la tête ; en 1848, c’est du foyer, du toit héréditaire qu’il s’agit de déclarer illégal, de la famille qu’on veut proclamer un abus, une tyrannie. Cette république travaille pour quiconque saura rassurer la propriété et la famille ; elle travaille pour les rois absolus. »

C’est parce qu’il est sincère partisan de la liberté, que M. d’Azeglio se prononçait si nettement contre la république. Néanmoins, tout en la combattant avec vigueur, il montrait, il faut en convenir, un peu trop de sécurité à l’endroit de son établissement. Il ne croyait pas le danger si prochain qu’il l’était en réalité. Sans doute la république n’avait pas de raison d’être en Italie, sans doute elle était antipathique à l’immense majorité de la nation ; mais tout n’est-il pas possible à une poignée d’hommes audacieux au milieu d’un pays qui s’abandonne, et n’est-il pas à craindre que la même torpeur inerte qui se l’est laissé imposer ne s’oppose de long-temps à ce qu’on la renverse ? Il y avait à Rome, en Toscane, en Piémont, une majorité immense qui pensait comme M. d’Azeglio, qui trouvait ses paroles les plus raisonnables du monde et n’avait pas le moindre penchant pour M. Mazzini. Cette majorité cependant a subi M. Mazzini à Rome et en Toscane ; peu s’en est fallu qu’elle ne fût débordée en Piémont. Cette majorité était au pouvoir, elle était maîtresse des assemblées : la force semblait être entre ses mains, et pourtant on l’a vue se fondre en quelque sorte instantanément et disparaître presque sans combat. Où donc était alors cette phalange d’écrivains et de publicistes qui jusqu’à cette époque avaient dirigé et soutenu l’opinion publique avec un si parfait accord ? Qu’étaient devenus les chefs naguère encore si écoutés de l’école libérale ? Par quelle fatalité s’étaient opérées cette décomposition soudaine des partis, cette espèce de confusion des langues dans toute l’Italie après l’armistice Salasco ? Nous venons de montrer M. d’Azeglio aux prises avec la jeune Italie ; il combattait à peu près seul. Parmi ses anciens amis politiques, les uns avaient passé par les affaires, et, sortis du pouvoir, s’enveloppaient de cette espèce de dignité et d’inaction qui suit la remise d’un portefeuille. D’autres, mécontens de voir la guerre suspendue et la