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Rosmini, qui a refusé de tremper dans toute cette affaire ? Que n’allait-il à Gaëte, avec ses amis, faire contre-poids à l’influence des rétrogrades qui entouraient Pie IX, et qui l’ont si détestablement conseillé ? Comment ne voyait-il pas qu’en restant à Rome, il donnait gain de cause à l’insurrection, et que son ministère démocratique n’était qu’une transition ménagée par les mazziniens, qui ne pouvaient se montrer tout d’un coup, et qui comptaient bien ne laisser à cet autre initiateur que tout juste le temps nécessaire pour préparer la population à leur avènement ? Ainsi ont-ils fait. Six semaines après, M. Mamiani était démonétisé, et le bruit des ovations qui l’avaient accueilli à son arrivée n’était pas encore éteint qu’il pouvait déjà lire dans un journal italien son épitaphe ainsi conçue : « Le comte Mamiani est tombé, et, par bonheur pour l’Italie, il a perdu tout prestige avec l’éclat de cette réputation usurpée qui avait ébloui le peuple romain dans un moment solennel. Nous avions prévu ce résultat, lorsque nous avons appris son élévation et celle de Sterbini. Mamiani et Sterbini viennent de passer dans la classe des libéraux renégats. Nous ne connaissons pas de fléau plus grand pour notre Italie renaissante ; mais la révolution est comme le vent qui sépare le bon grain de la paille. C’est donc un bonheur pour le peuple romain et pour l’Italie que le naufrage politique de ces deux doctrinaires ambitieux, Pietro Sterbini et Terenzio Mamiani. Espérons que du milieu du peuple un Gédéon se lèvera, un tribun qui du haut du Capitole fera appel à l’Italie, une voix qui fera reconnaître les antiques merveilles et laissera le monde dans la stupeur. »

Des deux renégats anathématisés dans les périodes bibliques que nous venons de citer, il en était un pourtant qui trouva grace devant les clubs de Rome, ce fut M. Sterbini. On le jugea encore assez pur pour faire partie du ministère de la junte suprême. Quant au Gédéon annoncé, il ne paraissait pas encore ; les temps n’étaient point venus apparemment ; mais il lançait ses lieutenans dans toutes les directions pour achever de lui préparer les voies. Ils étaient une cohorte de deux ou trois cents agitateurs qui se portaient d’une ville à l’autre, et, comme une troupe ambulante, jouaient successivement dans chacune la même parade démagogique, fondaient un circolo ou club central, puis allaient chercher fortune ailleurs. C’est ainsi que nous retrouvons à Rome, à Florence, les mêmes noms qui ont figuré à Gènes, à Milan, quelques mois auparavant : un de Boni, un Cernuschi, un la Cecilia, et d’autres aussi obscurs, car la jeune Italie n’a encore rien produit, si l’on excepte son chef. Le prode Garibaldi suivait avec sa bande de condottieri pour prêter main-forte à ces nouveaux apôtres qui allaient semant la parole et se mettant en rapport avec les frères des divers pays. Pendant ce temps, la majorité immobile, disons mieux, les neuf dixièmes de la population regardaient avec stupeur passer ces saturnales. On peut s’indigner contre une pareille apathie ; mais que dire de l’ignorance ou de la mauvaise foi de prétendus hommes d’état qui osent bien demander à la France de protéger de tels excès sous le pompeux prétexte de la volonté du peuple ? Le suffrage universel, appliqué à Rome et en Toscane, leur a fourni un argument spécieux ; mais qui ignore qu’en Toscane le suffrage universel est une chose illusoire ? Qui donc s’y dérangerait pour aller voter à moins que le curé du lieu ne lui en fasse une obligation ? De même dans l’état romain. Là