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un succès qui pourrait bien continuer les belles soirées du Val d’Andorre et du Caïd. Le poème des Monténégrins n’est pas précisément un chef-d’œuvre de vraisemblance et de netteté : on dirait qu’une main de dramaturge s’y est emparée d’une idée d’artiste et a gâté, par des combinaisons de boulevard et un dialogue de Cirque-Olympique, un sujet où se révèlent des intentions de couleur locale et de poésie fantastique ; mais la musique de M. Limnander nous a paru très remarquable. On a fait répéter plusieurs morceaux, entre autres une prière d’un grand style et un duo accompagné en sourdine par un chœur lointain qui ressemble plus à un murmure qu’à un chant, Cet effet, dont s’était emparé M. Auber et dont il est juste de laisser à M. Limnander l’initiative, n’a pas moins réussi dans les Monténégrins que dans Haydée. Ajoutons que Mme Ugalde a chanté avec une verve et un éclat qui suffiraient à assurer la vogue de la pièce nouvelle.

Ces courageux efforts des théâtres lyriques méritent d’être signalés au moment où les théâtres littéraires semblent frappés de torpeur. Cette prospérité se soutiendra-t-elle ? Entendrons-nous encore les mélodieux artistes dont nous aimons chaque année à saluer le retour ? Verrons-nous se rouvrir les portes du Théâtre-Italien ? Y aura-t-il dans l’avenir une place pour ces plaisirs élégans dont la cause est la même que celle de la civilisation et de l’art ? Nous voulons l’espérer ; nous voulons croire aussi qu’au milieu de ces agitations qui donnent à l’esprit un ressort douloureux et inconnu, la comédie et le drame contemporains finiront par sortir des sentiers de traverse où ils s’attardent, et par trouver la route de la popularité et du succès. Quelle que soit la destinée des peuples, à quelques hasards que les réserve leur initiation orageuse aux mystères de la liberté moderne, il n’est pas bon qu’ils soient privés, pendant leur marche périlleuse et pénible, de tout ce qui enchante l’imagination et de tout ce qui redresse l’intelligence. La mélodie et l’idée, la voix qui instruit et celle qui charme, l’art qui cache sous ses formes piquantes une leçon contre nos folies et l’art dont les suaves accens renferment un baume contre nos malheurs, ne sauraient être, nous le croyons, aussi aisément remplacés qu’une constitution ou un gouvernement ; les utopistes, les agitateurs et les démagogues auront fort à faire pour nous donner mieux qu’une comédie de Molière, qui nous apprend à nous méfier des sots, ou un opéra de Meyerbeer, qui nous aide à les oublier.


ARMAND DE PONTMARTIN.