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REVUE DES DEUX MONDES.
LE CARDINAL DE LORRAINE.

Soit ; il n’y a d’utile, il n’y a d’urgent, à cette heure, que de nous bien fortifier dans Orléans.

LE DUC DE GUISE.

J’appellerai le régiment de lansquenets, les deux mille pistoliers du comte de Rhingrave ; je ferai descendre par la Loire nos vieilles bandes revenues de Piémont ; nous aurons nos quatre mille Suisses, les nouvelles gardes du roi ; d’Aumale nous amènera ses gens d’armes, Nevers ses trois mille lances, Nemours huit ou dix enseignes…

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Assez, assez, je n’écris plus… À quoi bon tant de monde ? pourquoi tant de fracas ? Contentons-nous du nécessaire, et surtout pas de bruit, sans quoi le but est manqué ; nos oiseaux s’envoleront, Navarre et Condé ne viendront pas.

LE DUC DE GUISE.

Eh bien ! s’ils ne viennent pas, nous irons les chercher.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Vous y voilà ! je vous voyais venir. Mais entendons-nous, s’il vous plaît. Aller les chercher, c’est la guerre.

LE DUC DE GUISE.

Et les laisser venir, c’est… voyons un peu ?… c’est quelque chose qu’il ne faut pas nommer. Eh bien ! j’aime mieux me battre avec les gens que de les prendre au trébuchet.

LE CARDINAL DE LORRAINE.

Dites que vous voulez guerroyer ; c’est tout simple, à chacun son métier. Vous êtes de l’avis du prophète : Necesse est adveniant bella. Triste nécessité ! pauvre remède ! La guerre ne termine rien. Quand on s’est bien battu, bien égorgé, le vainqueur n’est guère moins épuisé que le vaincu ; on se repose, on reprend haleine, et tout est à recommencer. Moi je préfère, quand le ciel nous les offre, des moyens plus prompts et plus actifs, plus sûrs et moins coûteux. Que faut-il pour tout pacifier en ce royaume, pour guérir les plaies de la religion, pour affermir notre autorité ? Quelques hommes de moins, voilà tout, et en tête de ces hommes le roi des brouillons, cette peste de Condé. Eh bien ! je vous en prie, répondez à ma question : pourquoi Dieu a-t-il mis en nos mains ce papier merveilleux, preuve accablante, témoignage irrécusable qui tue son criminel comme un couteau tranchant ? Apparemment pour que nous nous en servions. Or, je soutiens que le vrai, le seul moyen de s’en servir, ce n’est pas une guerre, c’est un procès.