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REVUE DES DEUX MONDES.
Mme  DE MONTPENSIER, devant la fenêtre.

À la bonne heure ! elles commencent à se peupler, ces rues plus tristes et plus désertes que si la peste y avait passé ! On se porte au-devant du roi. Pauvre garde bourgeoise ! elle n’a pas d’armes On dirait une troupe d’écoliers en pénitence… Le canon gronde ; le roi n’est pas loin du faubourg.

LA REINE-MÈRE, la tête appuyée sur la main.

Savez-vous, mon amie, à quelles pensées ces cloches, ces fanfares m’ont amenée peu à peu ? Je rêve, en vérité ; je me sens transportée à trente ans en arrière : je me vois disant adieu à mon oncle, à Florence, puis glissant sur la mer du haut de cette galère toute de pourpre et d’or. Moi aussi, en descendant sur ces quais de Marseille, en passant dans ces rues jonchées de fleurs, j’ai entendu des milliers de voix s’élever dans les airs, et les cloches sonner, et le canon mugir ! Quelle journée ! quel triomphe ! Mais, bon Dieu ! où me conduisait-on ? et quelle vie allait être la mienne !

Mme  DE MONTPENSIER.

N’y pensez plus, madame ; l’avenir vaudra mieux !

LA REINE-MÈRE.

À quatorze ans tomber dans cette cour ! Seule, sans une amie, sans un guide ! ma place honteusement occupée ! ma jeunesse, ma beauté, car j’étais belle, Jacqueline, sacrifiées aux vieux appas d’une mercenaire ! Et que faire ? me révolter ? Pour qu’au malheur de n’avoir pas d’enfans vînt s’ajouter la honte d’être chassée !

Mme  DE MONTPENSIER.

Mais pourquoi la reine revient-elle sans cesse à ces tristes souvenirs ?

LA REINE-MÈRE.

Ah ! ma bonne duchesse, vous ne m’avez pas connue alors ; vous ne savez pas tout ce que j’ai souffert ! J’étais trop faible pour lutter, j’eus la force de mendier l’appui de cette odieuse femme ! Et pendant vingt-cinq ans j’ai vécu sa servante, affectant de n’aimer qu’à danser, de ne travailler qu’à l’aiguille, de ne savoir donner des ordres qu’à mes femmes. Je lui laissais mon mari et le royaume à gouverner. Puis, quand la mort à jamais douloureuse de mon seigneur et maître est venue m’enlever mon apparence de couronne, ai-je au moins pu me venger ? ai-je eu cette douceur de lui rendre le mal qu’elle m’avait fait ? L’ai-je dépouillée de ses rapines ? l’ai-je écrasée sous mes pieds ? Non, ma tendresse pour mes enfans, mon amour du repos public, m’ont donné le triste courage de lui accorder merci. Mais voyez, ma chère bonne, si ce n’est pas un astre malfaisant qui préside à ma vie ? À peine affranchie d’un joug, il me faut en subir un autre, moins honteux, il