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de Voltaire, qui n’est pas celui de Hume. Il est très commode de diviser tous les écrits philosophiques en quatre ou cinq classes, de les ranger sous quatre ou cinq chefs principaux (l’idéalisme, le scepticisme, ou le mysticisme), et puis de se demander à quelle école appartient tel ou tel homme, à quel système se rattache tel ou tel livre. Cette histoire naturelle ou cette arithmétique de la pensée, comme on voudra l’appeler, nous a toujours beaucoup répugné. La pensée est une chose morale qui ne peut s’enfermer dans une formule générale ; elle est toujours jeune et originale, alors même qu’elle se présente revêtue d’une vieille forme. S’il ne s’agissait que de trouver et d’établir la ressemblance et la différence qui existe entre les diverses philosophies, inutile serait l’étude de l’histoire. Or, nous croyons, au contraire, que la critique a une tâche historique à remplir aussi bien qu’une tâche scientifique. Il y a chez un écrivain, chez un penseur, non-seulement la doctrine, mais l’homme à faire connaître. Nous appliquerons cette double méthode à Thomas Carlyle ; nous l’examinerons d’abord au point de vue historique, puis dans sa doctrine particulière. Quel est son esprit en dehors des idées particulières qu’il peut avoir ? sous quelle forme a-t-il vu notre temps ? quel rôle y joue-t-il et quelle place occupe-t-il parmi les penseurs de son siècle ? Voici la première question et la plus importante. Quelles idées philosophiques a-t-il exprimées ? Ce n’est que la seconde.


I. – ESPRIT DE THOMAS CARLYLE.

Quiconque veut bien connaître Thomas Carlyle doit étudier avec soin son livre intitulé Sartor resartus. Ce livre, à coup sûr, n’est pas son chef-d’œuvre (le chef-d’œuvre de Carlyle est l’Histoire de la Révolution française) ; ce n’est pas non plus le livre où il a répandu le plus d’éloquence véritable et de talent de style : certains de ses essais et le petit livre intitulé Chartisme sont bien supérieurs comme style et pensée nettement exprimée ; mais ce livre du Sartor resartus contient en germe tout ce que Carlyle a écrit depuis. Tout le talent dramatique qu’il montrera plus tard dans l’Histoire de la Révolution française se trouve là par fragmens, toutes les idées qu’il développera dans le Culte des héros, le Chartisme, le Passé et le Présent, sont ici exposées dogmatiquement, d’une façon plus abstraite et plus obscure. C’est le véritable point de départ de sa pensée : là il hasarde, il risque ses idées ; on sent qu’il ne leur a pas encore donné une forme complète ; tout s’y heurte et s’y mêle. De longues phrases colorées s’étendent, comme de vertes idylles, au-dessus des sables de l’abstraction ; çà et là des mirages et des perspectives ouvrent leurs espaces lointains et déroulent leurs splendeurs. Les épisodes de la vie du professeur Teufelsdröck, entremêlés