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faire ce choix, de ne pas satisfaire cette ambition, de penser autrement, d’agir autrement, et en un mot que, si son être est libre, les effets de cette liberté ne le sont pas ; qu’une fois existant, ils échappent à sa puissance et appartiennent à la fatalité ; qu’il doit se répéter souvent ces deux vers de Goethe : « Choisis bien ; ton choix est bref et pourtant éternel. » Il faut qu’il sache que cette révolution française, par exemple, dont nous ne pouvons pas nous débarrasser, qui, après cinquante ans, est encore là comme une énigme qui dévore les générations les unes après les autres, a son origine dans les temps les plus éloignés, qu’elle date du jour où « un homme du temps de Charlemagne, et même avant lui, se mit à mentir et à faire mentir les institutions qu’il était chargé de conserver fidèlement, » que ce mensonge est allé s’accroissant, germant, portant des fruits empoisonnés, produisant d’autres semences de mensonge jusqu’à ce que, « le champ de la vie en étant couvert, » il ait été nécessaire de le retourner ; qu’il sache aussi qu’en revanche le bien suit la même méthode, croît et s’étend de la même manière, et que, s’il est sage, l’homme doit faire de sa vie l’application de cette maxime : « Combien mon héritage est large et beau ! Je suis l’héritier du temps. » Ainsi cette doctrine, vraie en elle-même comme doctrine métaphysique malgré son exagération, vraie comme doctrine historique, vraie aussi au point de vue moral, peut servir comme remède hygiénique à plus d’une erreur contemporaine, à plus d’une théorie justifiant les moyens par la fin et où le bien et le mal sont représentés comme deux fleurs nées sur la même tige et du même bouton.

Carlyle a fait une belle application de cette théorie dans son Histoire de la Révolution française. C’est une histoire fondée sur de singulières données et qui renverse toutes les idées que nous nous sommes formées de ce terrible phénomène. Maudire est facile ; Carlyle ne maudit personne ; bénir est plus facile encore, il ne bénit personne. Il regarde, observe et reste indifférent. Il se met en dehors des théories et des systèmes, des passions et des réminiscences archaïques, et se demande la signification de l’événement révolutionnaire. Il ne croit pas que la révolution française soit venue dans le monde pour continuer le christianisme, comme l’assurent MM. Buchez et Roux, il ne parle pas comme eux de verbe nouveau et d’ère du progrès ; il ne croit pas non plus, comme l’école constitutionnelle, que la révolution soit venue simplement pour réformer quelques abus et introduire la liberté dans nos institutions. Il la prend en bloc, il n’a de préférence pour aucun fait, pour aucune période ; il ne se réjouit pas au 10 août, il ne verse pas des larmes au 21 janvier, il ne chante pas la Marseillaise, il n’entame pas d’hymnes apologétiques et ne débite pas de tirades pour ou contre tel ou tel personnage ; il garde son silence, sa sûreté de coup d’œil et la fermeté de son esprit au milieu de tout ce tapage : c’est le signe d’un