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Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/318

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bienfaisante de la solitude, dit-il, qui la chantera, qui même en parlera convenablement ? Des autels devraient être élevés encore aujourd’hui au silence et à la solitude, et un culte universel devrait être institué pour leur rendre hommage. Le silence est l’élément dans lequel les grandes choses se forment et s’assemblent, afin qu’ensuite elles puissent sortir pleinement formées et majestueuses et brillantes de la lumière de la vie qu’elles sont destinées à régler. Ce n’est pas seulement Guillaume-le-Taciturne, mais tous les hommes considérables que j’ai rencontrés, les moins diplomatiques, les moins rusés, qui redoutaient de parler de leurs projets et de leurs créations. Même dans tes petites perplexités, suspends ta langue pour un jour. Combien, le matin suivant, ton but et ton devoir t’apparaissent plus clairement ! Quelles misères et quelles tristesses le silence, ce muet travailleur, a chassées de ton esprit lorsque le bruit a été une fois dissipé ! L’inscription suisse dit : Le silence est d’or, la parole d’argent ; et nous, nous pouvons dire : La parole est du temps, le silence est de l’éternité. Les abeilles ne travaillent que dans les ténèbres, la pensée ne travaille que dans le silence, la vertu ne travaille que dans la solitude. Que ta main droite ne sache pas ce que fait ta main gauche ; ne bavarde pas avec ton cœur. » Cette idée du silence passe à travers tous les écrits de Carlyle, et s’étend sur ses récits comme pour amortir et éteindre le bruit des trépignemens, des cris et des chants, le tapage des batailles et des révolutions. Cette idée nous apparaît comme la satire métaphysique des révolutions. Rien n’est bon que ce qui est latent, que ce qui naît, grandit et mûrit dans le silence. Le chêne, dit-il, est planté dans le silence et dans la solitude : qui donc a remarqué sa croissance, son développement ? Personne ne l’a vu lorsqu’il a été semé, personne ne l’a vu grandir et n’est resté attentif pour observer son développement, et cependant un jour on a entendu un grand bruit dans la forêt : c’était le bûcheron qui le couchait à terre et le frappait de sa cognée. Tout ce qui interrompt le cours naturel des choses, même quand ce seraient des événemens joyeux, peut s’appeler solution de continuité. L’histoire ne garde que le récit des faits bruyans, des révolutions, des maladies et des épidémies sociales. Et cependant, laquelle de ces deux choses est préférable, de cette croissance lente, silencieuse, mais vitale et naturelle, ou de ces convulsions et de ces révolutions qui détruisent, mais ne fondent rien ? Indubitablement c’est la première. Heureux les peuples silencieux, heureuses les nations qui vivent sur le passé, sur les coutumes établies ! Lorsqu’elles sortent de cette tranquillité, qu’elles consentent à briser les institutions dans lesquelles elles avaient vécu, elles peuvent bien obéir à une nécessité impérieuse, être poussées par une fatalité terrible ; mais elles tentent une expérience qui peut leur être funeste et doivent s’attendre, pendant de longs siècles, à ne plus avoir de repos moral.