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pays considère tous les périls auxquels il est exposé, tous les moyens de salut qui s’offrent à lui. La France va prononcer elle-même son arrêt. Il ne s’agit pas seulement pour elle d’envoyer à la prochaine chambre des hommes, il faut qu’elle y envoie des idées.

La mission de l’assemblée législative est en effet de reconstruire, de créer et de fonder. La tâche remplie par l’assemblée constituante a été analogue aux circonstances que nous avons traversées depuis un an : la constituante n’a avisé qu’au plus pressé ; elle lègue à la législative une tâche bien plus vaste et bien plus difficile. La constituante a protégé la société contre les agressions armées ; il faut que la législative protége la société contre ses propres faiblesses et ses propres vices ; il faut qu’elle l’entoure d’institutions permanentes d’où elle puisse défier tous les coups, comme derrière des fortifications imprenables. La constituante a proclamé l’avènement de la république et de la démocratie ; il faut que la législative organise la démocratie dans toutes les fonctions de la vie politique et sociale, et règle le développement de toutes les libertés que la forme républicaine promet ou exige. La constituante a arrêté le travail de destruction qui, en quelques mois, avait ruiné les finances publiques, enrayé l’industrie, tué le commerce ; il faut que la législative rende tout son essor à la vie matérielle du pays, imprime une impulsion féconde aux affaires, ramène l’ardeur et l’émulation dans le travail, la confiance et le bien-être au sein des classes laborieuses, et fasse cesser le chômage mortel dans lequel la France s’engourdit et s’appauvrit depuis un an. Ces travaux ne sont point, pour l’assemblée de 1849, de belles études politiques qui se puissent élaborer à loisir et résoudre lentement à la convenance du législateur. Non, ce sont des nécessités impérieuses, des questions de vie ou de mort qui attendent, qui prescrivent des solutions décisives, immédiates. Les essais, les tâtonnemens, les ajournemens, qui, en d’autres temps, eussent paru peut-être conseillés par la prudence, seraient aujourd’hui des fautes irréparables ; je ne dis pas assez, ce seraient des crimes.

Voyez comme la lutte est engagée en ce moment. Sous la restauration et sous le gouvernement de juillet, la France avait simplement devant elle la perspective d’une révolution politique. Le libéralisme se levait devant la royauté du droit divin, la république devant la royauté élue ; mais ces éventualités révolutionnaires ne mettaient pas en question l’existence même de la société. Février 1848 a placé la France non plus en face d’une révolution politique comme avaient fait 1815 et 1830, mais en face d’une révolution sociale. La révolution sociale ou le socialisme, c’est la dissolution des élémens constitutifs de la société. Camille Desmoulins disait de Marat qu’il avait posé les colonnes d’Hercule de la révolution, qu’au-delà il fallait écrire, comme les géographes sur leurs cartes aux limites des terres habitées : « Ici