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liberté religieuse, esprit d’association, politique commerciale, amélioration du sort du peuple, il faut que tous ces intérêts et toutes ces questions remplissent sans cesse la pensée des classes conservatrices, et soient fortement agitées devant l’opinion publique. La direction de l’opinion publique, voilà le moyen pratique auquel nous devons appliquer tous nos efforts.

C’est en effet dans l’opinion publique, aujourd’hui plus que jamais, que les batailles politiques se perdent ou se gagnent. La révolution de février vient de nous le rappeler encore. Une des choses qui ont le plus contribué à ruiner le régime déchu, c’est le peu de soin qu’il a donné au gouvernement de l’opinion publique. Enfermé dans la sphère parlementaire, il a laissé l’opinion s’éloigner de lui sous l’influence d’une presse hostile. Beaucoup de gens ne peuvent s’expliquer la soudaineté de la révolution de février et ce gouvernement s’affaissant en un jour malgré l’appui incontestable de tous les pouvoirs légaux. Cette catastrophe paraît moins brusque qu’on ne pense au premier abord, lorsqu’on observe qu’au moment où la monarchie de 1830 est tombée, la presse conservatrice n’avait que vingt mille abonnés, et la presse de l’opposition cent cinquante mille. Or, tous ceux qui connaissent le mécanisme de la presse savent que, si le parti conservateur s’est laissé réduire à cette infériorité vis-à-vis de l’opinion publique, il n’en peut accuser que sa négligence, son apathie ou sa maladresse. Le journal, une expérience quotidienne nous l’a enseigné, a par lui-même, indépendamment des idées ou du parti qu’il représente, une force d’action que l’on peut évaluer matériellement en quelque sorte comme on estime la portée d’une bouche à feu. Le journalisme a des tactiques et des manœuvres dont l’effet sur l’opinion est d’une certitude mathématique, quelle que soit encore la cause au profit de laquelle on les exécute. On connaît avec la précision d’une formule la combinaison et le degré d’audace, de ruse, de verve, d’invectives et de persévérance, avec lesquels on peut lancer une idée, tuer une réputation, dépopulariser ses ennemis, donner du cœur et de l’entrain à ses amis. Toutes ces choses ont, dans l’argot du métier, des noms d’une expressive brutalité. Nous ne l’avons que trop éprouvé : la justice et la vérité ne protègent pas plus un parti contre cette machine de guerre que le bon droit ne tient lieu d’artillerie à une armée en campagne. Dans nos temps de régime représentatif, de presse libre et de suffrage universel, la raison du plus fort parleur est toujours la meilleure. La victoire, en définitive, appartient non à l’idée la plus juste, mais aux plus gros mots.

Si j’insiste sur ces fautes du passé, c’est pour préserver l’avenir des mêmes erreurs. Les partis conservateurs sentent aujourd’hui la force de la presse et la nécessité d’agir avec concert et continuité sur l’opinion. L’œuvre que la réunion de la rue de Poitiers vient d’entreprendre