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mais sur le citoyen Blanqui. À parler net, M. Ledru-Rollin ne semble pas fort à l’aise en face de M. Blanqui ; ce n’est pas qu’il l’aime, mais dans le temps où il le détestait publiquement, M. Ledru-Rollin était encore de la démocratique tout court, et maintenant, pour rattraper un peu de popularité quelque part, il lui a fallu s’atteler à la sociale. Or, M. Blanqui étant proclamé l’un des saints martyrs de cette république-là, c’est à M. Ledru-Rollin de baiser ses plaies et d’obtenir sa bénédiction, ce qui n’est pas petite besogne, vu que le martyr est d’humeur acariâtre. « Il y a aujourd’hui un nouveau Ledru, lui disent les amis de Blanqui avec une fierté qui n’exclut pas l’indulgence, le Ledru qui revient des illusions du gouvernementalisme et qui n’hésite pas à porter au sein des agapes populaires son adhésion ouverte à la lettre du socialisme. Quant à nous, nous consentons bien volontiers à passer l’éponge sur le Ledru qui commence en février et qui finit aux journées de juin. » Recevoir pareille absolution des siens quand on pose en chef de parti, c’est de quoi troubler le plus beau sang-froid. Il est vraisemblable que M. Ledru-Rollin, trop ému par la majesté des accusés, ne prenait plus assez garde à ses paroles, lorsqu’au milieu de l’audience il a livré naïvement le fond de sa politique et le secret de sa révolution. « Pour faire une révolution, racontait-il très bonnement, on a soin de s’emparer d’une idée sympathique à la foule : on ne lui dit pas où l’on veut aller ; mais quand le mouvement est produit, quand le gouvernement est renversé, par un tour non moins habile, on y substitue un autre gouvernement. » Est-ce de la fermentation d’avril, est-ce de l’attentat du 15 mai que parlait ainsi l’ancien membre du gouvernement provisoire ? Pas du tout : c’était l’ancien député de la Sarthe qui se remémorait involontairement comment il avait escamoté la monarchie en criant : Vive la réforme ! Soyez donc la foule, même en ce temps de souveraineté populaire ; soyez la foule souveraine tant que vous voudrez, pour qu’à peine arrivés où vous jugiez être allés tout seuls, sur vos propres pieds, par votre unique impulsion, les héros que vous avez institués vous-mêmes dans cette occasion-là viennent ensuite à votre barbe exposer scientifiquement comment ils vous ont conduits par le bout du nez !

Et conduits, malheureux que vous êtes ! où vous ont-ils conduits ? Troisième confession de février ! encore M. Ledru-Rollin. Catéchumène récent dans l’église socialiste, M. Ledru-Rollin a juré de réparer le temps perdu, et, pour gagner la confiance de ses aînés, il s’acharne à leur montrer que ses inspirations politiques étaient d’avance conformes aux lois de l’école. — « Faites remonter nos idées jusqu’aux tribunes officielles, » lui criaient-ils dans leurs journaux au moment où il était interpellé par Blanqui devant la haute cour, « et nous oublierons tout. Vive la république démocratique et sociale ! n’est-ce pas, citoyen Ledru, que cela vaut mieux que d’avoir à déposer à Bourges ? » L’honorable adepte aura bientôt mérité son pardon ; il ne faudrait pas beaucoup de séances comme celle du 12 avril pour l’élever presque au niveau du sublime Barbès, de M. Louis Blanc. Un milliard sur les riches ! Telle était la sentence prononcée par M. Barbès dans la folle journée de mai. Nous avions pensé, jusqu’à présent, que cette façon de répartir l’impôt ne pouvait se concevoir qu’avec une intelligence très échauffée. M. Ledru-Rollin nous a prouvé, en en appelant à ses souvenirs, qu’une formule si enthousiaste n’avait rien, néanmoins, qui lui parût incompatible avec le sang-froid gouvernemental. Quel gouvernement !