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vailleurs qui souffrent derrière vous et comptent sur votre union pour leur émancipation prochaine ! »

Inspirations intimes est joli ; c’est la traduction libre du mot de Flotte à Barbès : « Je t’arrangerai, va ; en v’là assez ! » Nous ne citons pas cette prose pour son mérite intrinsèque, nous la citons comme un spécimen entre tant d’autres, comme un faible échantillon du ton déclamatoire sur lequel on se monte en permanence dans toute cette bande de héros à laquelle appartiennent les victimes de Bourges. Oui, c’est encore là ce qu’ils ont confessé à Bourges plus qu’ailleurs, c’est là ce qui ressort de leurs plaidoiries étudiées comme de toutes les œuvres écrites ou parlées du radicalisme ; c’est qu’ils sont de faux grands hommes ; c’est qu’ils n’ont pas seulement de fausses idées, mais aussi de faux sentimens et de faux caractères ; c’est que tout est faux et sonne faux dans leur éloquence comme dans leur conduite ; il leur manque cette force primesautière du naturel et du vrai, sans laquelle il n’y a ni révolutionnaires ni révolutions. Le rôle était pourtant facile ; les pouvoirs publics n’étaient point représentés vis-à-vis d’eux avec une telle vigueur, qu’un peu d’énergie sans apprêt ne dût point tout de suite les rehausser beaucoup. Les témoins à décharge se mettaient presque à genoux pour les adorer, les témoins à charge leur demandaient la permission de les assurer d’une estime incomparable. M. Arago se défendait avec l’indignation la plus humble d’avoir jamais commis l’atroce plaisanterie d’inquiéter M. Sobrier sur la conservation de ses jours. Rendons justice au brave colonel de Goyon : il n’y a guère que ce soldat qui ait été un libre citoyen devant la justice ; il ne s’est pas gêné pour avouer et revendiquer l’office militaire qu’il attendait au besoin des deux dragons dont il avait procuré la compagnie à M. Sobrier : sur quoi celui-ci a déclaré qu’il lui pardonnait comme Jésus-Christ à ses bourreaux. En revanche, M. Marrast était enrhumé, M. Ledru-Rollin protestait que sa main eût séché avant de signer l’ordre de tirer sur le peuple (toujours ce même peuple de théâtre), et M. Raspail disait agréablement à M. Buchez, qui s’en allait après avoir fait sa petite déposition : « Vous avez bien un remords, un petit remords. » M. Buchez, en effet, sur son tranquille fauteuil de témoin, avait tout l’air de se croire encore sur son terrible fauteuil du 45 mai, c’est-à-dire fort contrarié. Enfin, M. Bérenger est un criminaliste humanitaire, et l’on peut être bien sûr que M. Baroche ne sera jamais un Laubardemont.

Tout cela n’était donc pas assez formidable en soi pour gêner ou diminuer quiconque eût été grand par lui-même au banc des accusés. La grandeur, telle qu’on l’entend dans cette école qui veut être populaire, c’était M. Barbès qui était appelé à la représenter. Raspail et Blanqui se défendaient chacun à sa manière : Blanqui en habile homme qui a du métier ; quant à Raspail, c’est, à s’y méprendre, un vertueux patriarche de feu Ducray-Duminil. Barbès ne se défendait pas, et, prenant à chaque instant la parole, ne cessait pas de le dire. Lorsqu’à la fin il a parlé d’une seule haleine, on a pu voir une fois de plus ce que c’était que les exagérations banales et la pompe vulgaire sous laquelle les dramaturges de ce temps-ci cachent le néant de leurs drames. La déclamnation ne nous émeut pas : il faut d’autres mérites que ceux de M. Barbès pour s’arroger le droit de demander pardon à la France et à l’humanité de ne les avoir pas mieux servies. La France et l’humanité n’exigent de chacun que ce qu’il peut donner dans la mesure de son intelligence, et non pas dans la mesure de son orgueil. Le tort