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franchissent qu’à regret les mers qui baignent leurs rivages. Les Romains avaient pour la marine une répugnance instinctive. « Portius Cato, suivant notre Rabelais, disoit de trois choses soy repentir, sçauoir est, s’il auoit jamais son secret à femme reuelé : si en oisiueté jamais auoit un jour passé : et si par mer il auoit péregriné en lieu autrement accessible par terre[1]. » Mais les maîtres de l’Italie étaient enserrés par la mer. Leur ambition croissait avec le développement et le besoin d’expansion de leur population. Plus d’une fois ils avaient eu à souffrir dans leur orgueil des insultes d’une poignée de marchands réfugiés sur la plage africaine. Carthage, dans son essor maritime, affrontait audacieusement la première puissance territoriale du monde antique. Rome arma des vaisseaux ; elle y pressa ses laboureurs. Vaincue d’abord, elle apprit par ses défaites à vaincre sur la mer. Carthage disparut sous les eaux avec ses flottes, comme devaient plus tard disparaître les Vénitiens, les Génois, les Portugais, les Barbaresques, tous ces peuples hardis que le besoin d’une meilleure patrie ou l’aspiration vers l’espace sollicitait à la mer, qui s’en sont rendus maîtres pour un jour, et dont la barque, après s’être jouée des tempêtes, s’est tristement échouée, si même elle n’a sombré sans retour.

Dans les temps modernes, deux peuples ont été puissans entre tous par la marine et en vivent encore : les Hollandais, les Anglais. Les premiers ont dicté sur la mer leurs lois aux seconds. Déclins d’une prééminence qui n’avait pas dans leur situation territoriale un fondement assez solide, ils ont su, par leur sagesse et par une énergie que rien ne lasse, conserver encore une place honorable parmi les nations. Fortement retranchée dans sa situation insulaire, riche de son sol, la main étendue sur les affaires du monde entier, le pied posé sur les colonies les plus florissantes, que le génie de ses navigateurs a choisies et disposées comme des étapes autour du monde, l’Angleterre, aujourd’hui prépondérante sur l’Océan, y maintient son empire par le double effort de son activité commerciale et de sa flotte militaire.

Et cependant, que font les nations qui ont un nom dans l’histoire de la civilisation ? Les unes, plus anciennes et jadis florissantes, la Suède, la Norvège, le Danemark, les états sardes héritiers des Génois, gardent encore la tradition bien affaiblie de leur force navale. Nous voudrions omettre l’Espagne. Cette grande nation, dont la décadence inspire encore le respect, a été long-temps, elle aussi, la reine de la mer. Pauvre d’abord, c’est de la mer qu’elle avait tiré ses richesses. « Chacun sait, écrivait, en 1626[2], un marin dont nous invoquerons plus d’une fois le témoignage,

  1. Rabelais, Pantagruel, liv. IV.
  2. Isaac de Razilly, chevalier de Malte. Nous devons à l’obligeance d’un de nos amis, M. Pierre Margry, la communication du curieux Mémoire dont nous extrayons ce passage. C’est un manuscrit appartenant à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Il est adressé au cardinal de Richelieu et daté Pontoise, le 26 novembre 1626. Ce document inédit contient le germe de la plupart des institutions de la marine telles que Richelieu les a inaugurées et telles que Colbert devait les consacrer dans les grandes ordonnances de Louis XIV : il fera partie des pièces inédites concernant les anciennes colonies françaises de l’Amérique du Nord dont M. Margry prépare en ce moment la publication pour la collection des documens relatifs à l’histoire de France.