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une institution que délaissaient ceux qui ne l’attaquaient point. Dans un rapport au roi, dont le langage est animé par le patriotisme en même temps que dicté par la raison, M. le baron Portal disait : « Je l’affirme sans hésiter, notre puissance navale est en péril ; les progrès de la destruction s’étendent avec une telle rapidité, que, si l’on persévérait dans le même système, la marine, après avoir consommé 500 millions de plus, aurait totalement cessé d’exister en 1830. C’est dire assez que, sans perdre dans une attitude passive des momens qui nous coûtent si cher, il faut abandonner l’institution pour épargner la dépense, ou élever la dépense pour maintenir l’institution[1]. »

Cette parole si ferme fut entendue ; une cause devait la rendre persuasive. Si la France n’a jamais beaucoup été dirigée à développer sa puissance navale par les intérêts de sa navigation, souvent elle y a été conduite par ses nécessités politiques. Depuis trente ans, notre politique extérieure a oscillé entre ces deux pôles : alliance avec l’Angleterre et menace de guerre contre le continent, alliance avec la Russie et préparatifs à la guerre maritime. Le pôle de la Russie sollicitait davantage le gouvernement de la restauration. 1830 devait détourner l’aiguille vers l’Angleterre. Conséquence : la marine relevée avec volonté, développée avec mesure, mais sans interruption, suivit jusqu’en 1830 une marche ascendante. La flotte pouvait devenir une arme nécessaire ; on la préparait. À partir de juillet 1830, c’est du côté de la frontière de terre que le danger paraît imminent. L’Angleterre n’a pour nous que des sympathies. Tous les regards se détournent de la flotte, qui ne cesse pourtant de rendre des services. L’opinion des chambres se préoccupe une fois encore de ce que coûte la marine. Les crédits lui sont mesurés d’une main jalouse et défiante, et il en sera ainsi jusqu’à ce que, 1840 faisant éclater sur l’Europe la menace d’une guerre où l’Angleterre est liguée contre nous avec le continent, cette opinion, dont la mobilité nous effraie, surprise par le péril et comprenant tout à coup combien la flotte est nécessaire pour y faire face, s’étonne de la trouver, affaiblie après l’avoir faite telle par un long oubli.

Au surplus, c’est là l’histoire d’hier, et ce que notre plume écrit sans réticence, le compte présenté en 1845 par M. l’amiral de Mackau l’a constaté, avec plus de réserve peut-être, mais enfin l’a constaté par des faits. Alors il s’est produit un beau jour pour la marine. Les chambres législatives, s’associant au gouvernement dans une pensée commune de réparation, ont voulu que le matériel, mieux doté, fondât enfin sérieusement les bases de la force navale. Nous assistons encore par le souvenir à cette grande discussion où les maîtres de la tribune, disciplinant sous leur parole cette langue de la marine que nos législateurs étaient

  1. Note préliminaire du budget de la marine pour 1820.