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jusqu’à Charlemagne, insulté dans la cité de Paris par les aventuriers du Nord et impuissant à les combattre, n’est-ce pas bien assez d’avoir à citer dans notre histoire Calais, Dunkerque, Rouen, Bordeaux, tant de fois et si long-temps aux mains des Anglais ; les côtes de Provence infestées par les Algériens ; celles de Guyenne, d’Aunis, de Saintonge et jusqu’à la Bretagne, livrées à la merci, tantôt des pirates du golfe de Biscaye, tantôt des gens de La Rochelle ? Nous avons déjà parlé de ces hardis corsaires rochelois qui « établissoient un impôt à l’entrée des rivières de Bordeaux et de la Loyre, » et que Richelieu ne parvenait à réduire qu’à l’aide des Hollandais. « Et si de malheur pour eux, ajoute un écrivain du temps[1], ils n’eussent brûlé de navire de Hollande à Lesguillon, jamais les Hollandais n’eussent combattu contre eux ; partant, toute la dépense qu’avoit faite sa majesté étoit perdue. Cela fait voir clairement qu’il faut qu’un roy se confie à ses propres forces et non à celles de ses voisins. » Que pourrait-on dire de plus pour justifier le premier objet de l’entretien d’une marine militaire, qui est la défense du territoire ?

Mais le territoire, ce n’est pas seulement le sol métropolitain. Combien s’est-il accompli d’émigrations françaises vers des terres lointaines que la navigation a comme réunies à la France ! De ces anciennes possessions, le plus grand nombre a été perdu pour nous, faute d’une flotte pour les défendre. Le Canada, l’île de France, dont les populations ont à regret subi la nationalité britannique, témoignent contre l’indifférence coupable de la mère-patrie. Ce qui nous reste est bien réduit ; mais enfin, dans l’Atlantique et dans le Grand-Océan, vivent encore des milliers de Français sur un sol que couvre le pavillon national. Au-delà de la Méditerranée, sur cet immense continent qui regarde Toulon à moins de deux cents lieues, nous avons un littoral de près de deux cent cinquante lieues de développement. Vingt ans ne se sont pas écoulés depuis que cette terre, imbibée de tant de sang français, nous appartient. Que de travaux entrepris pour nous l’assimiler ! Des villes transformées, d’autres créées, des ports creusés, des rivières réglées dans leur cours, des routes pratiquées, des régions entières assainies, ce n’est pas encore assez au gré de notre impatience, qui ne mesure pas les obstacles ; mais combien ce labeur, accompli au prix de centaines de millions, ne doit-il pas nous attacher à la possession de cette France nouvelle ! Dans les premières années qui ont suivi la conquête il a pu s’élever des voix pour en conseiller l’abandon. Il ne s’en trouvera plus désormais. La seule parole, courageuse et convaincue, qui ait persisté à protester contre l’occupation, où elle signalaitla ruinedu trésor, a cessé de se faire entendre dans nos assemblées. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement des soldats qui vont discipliner cette terre rebelle à toute domination ;

  1. Razilly, Mémoire sur la marine.