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Nous ne sommes pas de ceux qui poussent à la haine de l’Angleterre. Dans ce pays comme ici, il y a un grand nombre d’hommes qui veulent le règne du droit et qui ont horreur de la force, nous le savons. Notre pensée va plus loin. Pour nous, tant que la prééminence maritime de la Grande-Bretagne sera exclusivement fondée sur l’industrie, sur la science, sur le labeur de son peuple, tant qu’elle respectera le droit, nous dirons à nos concitoyens : « Imitez, faites mieux si vous pouvez, mais n’attaquez point ; respectez le droit. Ne provoquez pas sans raison une nation qui n’est pas votre ennemie pour être votre rivale. » Mais le jour où l’Angleterre frapperait le droit de son épée, oh ! ce jour-là, notre pays aurait un devoir à remplir, et il ne serait pas seul. Nous en avons pour garant le sage Jefferson.

« Je me réjouis sincèrement avec vous, écrivait-il à John Adams en 1813[1], des succès de notre petite marine ; ils doivent vous être d’autant plus agréables, que vous avez été de bonne heure et constamment partisan des murailles de bois. Si j’ai différé avec vous sur ce point, ce n’était pas quant au principe, mais quant au temps ; il me semblait que nous ne pouvions construire ni entretenir une marine assez puissante, pour ne pas tomber immédiatement dans le gouffre qui a englouti non-seulement les marines les moins importantes, mais celles des peuples qui tenaient le second rang sur la mer. Quand ces dernières pourront sortir de leurs ruines et s’approcher assez du point où elles balanceraient le pouvoir de l’Angleterre pour qu’en y ajoutant le nôtre nous assurions le succès, c’est l’époque où je crois qu’il nous conviendra de songer à en avoir une. »

Le temps est venu pour la France comme pour les États-Unis d’Amérique.


II.
QUELLE DOIT ÊTRE LA FORCE NAVALE DE LA FRANCE ?


Les principes ont été posés : ce qui suivra n’en est que la conséquence. Il n’est pas besoin de dire que, n’ayant pas l’honneur d’être officier de marine, nous n’aborderions pas des questions exclusivement techniques, si nous n’étions dirigé par des hommes de la profession. Nous avons recueilli bien des opinions, nous les avons comparées et débattues. Le seul rôle qui convienne en telle occurrence, est celui de rapporteur impartial.

  1. Mélanges politiques et philosophiques de Jefferson, t. II, p. 242.