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faire un ressort poétique[1]. Il ne comprend pas qu’il y ait un autre merveilleux que celui de la mythologie ; aussi veut-il du même coup exclure de l’épopée tous les sujets modernes. Ainsi, selon Boileau, point de merveilleux chrétien, point de héros modernes. La littérature prend l’œuvre où l’avaient laissée les Grecs et les Romains ; elle ôte le sinet. Les poètes épiques, s’il est des poètes qui soient tentés de ce genre de poésie, se serviront de l’ancien merveilleux ; ils imiteront Homère et Virgile. Ce système a prévalu au XVIIe siècle, et, quand Fénelon fit son Télémaque, il pratiqua les maximes de Boileau, c’est-à-dire qu’il fit un poème épique sans y rien mêler ni de la religion, ni de l’histoire modernes. Le christianisme, comme l’a remarqué M. de Chateaubriand, est pour beaucoup dans les pensées et dans les mœurs du Télémaque ; il n’est pour rien dans le sujet et dans les ressorts poétiques employés par Fénelon : la scène est toute païenne, les caractères seulement, et comme malgré eux, sont chrétiens, parce qu’ils sont meilleurs que les caractères d’Homère. Il y a dans Télémaque une grande supériorité d’inspiration morale à côté d’une singulière docilité d’imitation poétique.

Il ne faut pas croire cependant que le système de Boileau ait triomphé sans obstacles. Le merveilleux chrétien qu’il attaquait fut vivement défendu, et la querelle entre les partisans et les adversaires de ce merveilleux, renouvelée au commencement du XIXe siècle par M. de Chateaubriand, date du XVIIe siècle. Malheureusement le merveilleux chrétien était défendu par les mauvais poètes et attaqué par les bons : Desmarets, auteur du Clovis ; Coras, auteur du David et du Jonas ; Boival, auteur d’Esther, et tant d’autres faiseurs de poèmes épiques, défendaient ardemment l’usage du merveilleux chrétien. Avant eux, dans la préface de ses odes chrétiennes, Godeau, évêque de Vence, avait déjà espéré que désormais le Parnasse, comme il le disait, ne serait plus si éloigné du Calvaire. Il croyait qu’il y avait dans le christianisme une source féconde d’inspiration poétique[2]. La cause était bonne, mais

  1. De la foi d’un chrétien les mystères terribles
    D’ornemens égayés ne sont point susceptibles ;
    L’Évangile à l’esprit n’offre de tous côtés
    Que pénitence à faire et tourmens mérités ;
    Et de vos fictions le mélange coupable
    Même à ses vérités donne l’air de la fable.
    Et quel objet enfin à présenter aux yeux
    Que le diable toujours hurlant contre les cieux,
    Qui de votre héros veut rabaisser la gloire,
    Et souvent avec Dieu balance la victoire !

  2. « Je confesse que je me suis laissé autrefois emporter à l’opinion de ceux qui croient que les muses cessent d’être civiles aussitôt qu’elles deviennent dévotes ; qu’il faut qu’elles soient fardées pour être agréables, et qu’il est impossible d’assortir les lauriers profanes du Parnasse avec les palmes sacrées du Liban ; mais je me suis détrompé ; et, maintenant qu’un âge plus mûr m’a donné de meilleures pensées, je reconnois par expérience que l’Hélicon n’est point ennemi du Calvaire. » (Discours de la Poésie chrétienne, p. 9.)