Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soutenir le merveilleux de la mythologie. La liberté de conscience ne doit pas être permise même en poésie, et il faut décréter par ordonnance du roi l’emploi du merveilleux chrétien. On voit que, quand Boileau disait :

Qui méprise Cotin n’estime point son roi
Et n’a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi,


il n’y avait dans cette épigramme aucune hyperbole.

Voilà les malices et les injures de la controverse. Venons maintenant aux raisonnemens. Quand Desmarets rappelle la grandeur des traditions hébraïques, ce qu’il y a de merveilleux dans les aventures du peuple juif ; quand il montre la beauté de l’Évangile, même pour la poésie ; quand il déroule l’enchaînement des miracles de Jésus-Christ, alors, comme le sujet le soutient, la faiblesse du poète paraît moins. C’est là, en effet, le beau côté du merveilleux chrétien ; c’est par là qu’il peut lutter avec avantage contre le merveilleux païen ; le merveilleux chrétien, surtout dans les sujets empruntés à l’Évangile, est aussi gracieux que le merveilleux païen, et il est toujours plus tendre et plus profond ; en même temps que, dans les sujets empruntés aux Juifs, il est aussi grand que l’a jamais été le merveilleux homérique. Aussi Desmarets et Boival ont de quoi le défendre ; mais ils le défendent avec leurs vers, ce qui gâte tout. Voici, par exemple, quelques vers de Boival, dont les argumens, qui sont bons, gagneraient beaucoup à être exprimés en prose :

Qui des deux est plus grand, si quelqu’un les compare,
Ou le dieu de Moïse, ou le grand Jupiter ?
Ou le charme d’Hélène, ou le charme d’Esther ?
Ou le sage Nestor, ou le puissant Élie ?
Ou Vénus, ou Judith, honneur de Béthulie ?
Ou le pieux Énée, ou le chef sans pareil
Qui par une parole arrêta le soleil ?
Pallas ou Debora…
Et si l’on veut encor comparer les fureurs,
Qui des deux dans l’esprit causera plus d’horreurs,
Ou d’Alecton la rage allumant les provinces,
Ou celle d’Athalie, ivre du sang des princes ?
Pour te convaincre, impie, aux vérités rebelle,
Fable pour fable, au moins, qui crois-tu la plus belle ?…
Aux grands effets de Dieu rien ne peut s’égaler,
Et la feinte si haut n’a jamais pu voler[1].

Desmarets expose avec détail son système sur l’emploi du merveilleux dans deux de ses ouvrages en prose, la préface de son Clovis et

  1. Boival. Les Plaintes de la poésie.