Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais ces anges qu’énumère M. de Chateaubriand ne ressemblent guère, je l’avoue, aux anges que Bossuet loue dans son sermon des anges gardiens. «  Sous l’ombrage des forêts on parcourt l’empire de l’ange de la solitude ; on retrouve dans la clarté de la lune le génie des rêveries du coeur. Les roses de l’aurore ne sont que la chevelure de l’ange du matin. L’ange de la nuit repose au milieu des cieux, où il ressemble à la lune endormie sur un nuage ; l’ange du silence le précède et celui du mystère le suit. Ne faisons pas l’injure aux poètes de penser qu’ils regardent l’ange des mers, l’ange des tempêtes, l’ange des temps, l’ange de la mort, comme des génies désagréables aux muses. C’est l’ange des saintes amours qui donne aux vierges un regard céleste, et c’est l’ange des harmonies qui leur fait présent des graces. L’honnête homme doit son cœur à l’ange de la vertu et ses lèvres à celui de la persuasion[1]. »

J’ai deux reproches à faire à ces anges de M. de Chateaubriand : le premier, c’est qu’ils sont tellement allégoriques qu’ils sont à peine visibles. Je ne me représente l’ange de la solitude et l’ange des rêveries du cœur qu’à l’aide des figures de rhétorique ; ils ressemblent à ces personnifications des passions humaines, à ces déités poétiques, comme l’Amour, la Haine, l’Envie, la Discorde, à l’aide desquelles Voltaire a cru animer sa Henriade. Que font ces abstractions fantastiques ? quelle est leur mission ? quelle est l’assistance qu’elles prêtent aux hommes ? Sont-ce là nos bons anges gardiens ? J’entends Bossuet inviter les saints anges à quitter le ciel, où ils ne voient que des bienheureux, à venir sur la terre « afin de rencontrer des affligés. » « Tous les hommes sont des prisonniers chargés des liens de ce corps mortel : esprits purs, esprits dégagés, aidez-les à porter ce pesant fardeau, et soutenez l’ame, qui doit tendre au ciel, contre le poids de la chair qui l’entraîne en terre. Tous les hommes sont des ignorans qui marchent dans les ténèbres esprits qui voyez la lumière pure, dissipez les nuages qui nous environnent. Tous les hommes sont attirés par les biens sensibles : vous qui buvez à la source même des voluptés chastes et intellectuelles, rafraîchissez notre sécheresse par quelques gouttes de cette céleste rosée. Tous les hommes ont au fond de leurs aines un malheureux germe d’envie, toujours fécond en procès, en querelles, en murmures, en médisances, en divisions : esprits charitables, esprits pacifiques, calmez la tempête de nos colères, adoucissez l’aigreur de nos haines, soyez des médiateurs invisibles pour réconcilier nos cœurs ulcérés[2]. » Je ne sais si je me trompe ; mais ces assistances appropriées à nos misères me représentent la mission des anges d’une manière vive et touchante. Les anges de Bossuet ont la réalité de nos douleurs qu’ils consolent ;

  1. Génie du Christianisme, liv. IV, chap. VIII.
  2. Sermons, t. II, p. 239.