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allait rechercher tous les mérites, la France allait se parer aux yeux du monde de tout ce qu’elle avait d’illustre : la gloire, déjà depuis long-temps, n’illuminait-elle pas cette humble boutique où l’auteur de l’Aveugle avait été pauvre, où il avait rêvé si souvent, où il avait souffert, n’ayant sans doute, pour le consoler, que la muse invisible qui l’accompagne ? À l’heure même où ce nouvel horizon semblait s’ouvrir, le rapsode populaire n’achevait-il pas de ramasser des trophées dans ces contrées du Midi qui le fêtent, laissant partout des souvenirs gracieux de son génie et des bienfaits pour les pauvres qu’il n’oublie jamais ? Ouvrier et poète, — la belle auréole en ce temps pour décorer une ambition ! Jasmin, mieux inspiré, a su résolûment mettre le pied sur l’embûche cachée et dire non à ces provocations enivrantes. Heureuse sagesse ! Et en effet, en certains momens, n’est-ce pas bien assez de voir et d’entendre sans se jeter dans la mêlée, sans joindre sa voix à toutes les voix qui s’élèvent ? Heureuse sagesse, dis-je, à qui il ne manque que des sectateurs ! Il y a malheureusement en France une passion nationale, et qui ne fermente pas seulement au cœur des poètes et des avocats, ainsi qu’on le dit : c’est la passion d’agir, de se produire, d’envahir la scène publique, de se proclamer l’unique et essentiel sauveur du pays, de s’attribuer l’universelle intelligence des choses. Ce que la France compte de sauveurs des Pyrénées au Rhin, des Alpes à l’Océan, ne se pourrait bien dire. Qui ne s’est fait, au moins une fois dans la vie, cette discrète et modeste confidence, qu’il était vraiment l’homme le plus propre à exprimer une situation ? Quel est celui qui, doué par la Providence de quelque don heureux, ne s’est point cru investi de la puissance de tout faire, d’une aptitude égale à toutes les missions ? Hélas ! et quel est aussi celui qui ne se lasse point de ce qu’il est, même des qualités qui peuvent faire sa gloire, et ne tourne pas un œil d’envie vers un autre théâtre, vers d’autres succès où il rencontrera d’autres mécomptes ? Vieille et éternelle histoire du désir humain ! « Comment se fait-il, disait Horace il y a dix-huit siècles, que nul n’est satisfait de sa condition ? » N’est-ce point dès-lors une bonne fortune de trouver un homme qui vit content de son sort sans cette amertume secrète de l’ambition déçue, qui a su résister aux périlleuses tentations de la vie publique et a senti que chacun dans sa sphère, chacun dans la voie qui lui est tracée, pouvait servir au bien commun sans s’aller perdre follement dans ce grand et souverain amalgame de toutes les passions, de toutes les haines, de toutes les impuissances, de tous les ressentimens qu’on nomme la politique ? Poète éminent, Jasmin s’est senti monter au cœur la fierté, l’orgueil de la poésie, et il s’est demandé pourquoi il chercherait à être autre chose qu’un grand poète, à quoi bon il irait échanger les dons charmans qu’il possède contre la médiocrité peut-être dans une autre sphère, et ce contentement où il