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vit contre les soucis cuisans d’une autre ambition à satisfaire. « Ma muse, en politique, s’est faite muette, dit-il ; et par une singularité dont il ne s’est pas peut-être expliqué tout l’à-propos, c’est dans une dédicace de son nouveau poème à M. de Lamartine que Jasmin parle ainsi. Enveloppé dans l’admiration la plus vive, le mot n’en reste pas moins, non sans doute comme une leçon, mais comme un secret et urgent appel à cette muse d’autrefois, la muse des Méditations, qui fut la première de toutes parmi nous, qui a pu se laisser corrompre par la perspective d’une double gloire et a livré sa pure et sereine inviolabilité aux profanations vulgaires. La fidélité de Jasmin à la poésie dans sa modeste situation n’est-elle pas un exemple vivant ? Quant à ce titre d’ouvrier qui fut presque un moment un titre de noblesse, l’auteur de Marthe a compris que, s’il devait à son génie de n’être pas moins poète qu’avant, il devait aussi à sa dignité d’homme de ne pas faire un plus bruyant appel le lendemain que la veille aux souvenirs de son origine, de son caractère populaire.

Ce qui a guidé Jasmin, ce n’est point un instinct ordinaire assurément ; c’est son génie familier, — ce génie intérieur qui l’a fait résister, en d’autres temps, à d’autres séductions, et qui lui faisait dire dans son épître à un agriculteur de Toulouse : « Je reste ici ; tout ici me convient. — Terre, ciel, air, tout cela m’est nécessaire pour vivre… » Là, en effet, est la vraie place de l’auteur de l’Aveugle, en dehors des querelles, des luttes intéressées des partis ; là, tout le ramène au sentiment de lui-même comme au sentiment des choses qu’il chante. Cette langue qu’il fait reluire selon son expression, qu’il travaille, qu’il refond comme en un creuset d’or, elle est là sur les lèvres de la jeune fille qui passe, dans la bouche du mendiant qui connaît son seuil et ne lui tend pas vainement une main tremblante. Ces mœurs qu’il dépeint, il les a sous les yeux dans leur simplicité naïve ; ces refrains dont il s’empare, il les entend chaque jour retentir dans les campagnes autour de lui. Ces souvenirs personnels, ces impressions intimes dont il aime la douce mélancolie, cent il se plaît à parsemer ses vers, la réalité qui l’environne les éveille naturellement en lui. L’aspect des lieux le ramène au passé et lui en renvoie le pénétrant parfum. Tout est charme et inspiration pour Jasmin. « … À l’heure où je suis seul, dit-il, mes souvenirs fidèles me tiennent compagnie, et les plus vieux — se refont jeunes pour me plaire. — Aujourd’hui il m’en vient un parfum, — Je vois la prairie où je gambadais ; — je vois l’illot où j’allais ramasser des branches, — où j’ai pleuré, où j’ai ri. — Je vois plus loin le bois feuillu, — où, près d’une fontaine, je me faisais songeur… » C’est ainsi que parle Jasmin dans une pièce sur sa vigne, — sur cette vigne long-temps désirée et devenue son lieu de délices, Tibur modeste, retraite heureuse où le bruit des tempêtes publiques n’arrive qu’en se