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aventures. Elle a devant elle deux voies, dont l’une, couverte de piéges et d’écueils, borde un abîme ; dont l’autre, longue, il est vrai, mais facile, parait conduire infailliblement au but. Qu’importe, s’il n’est pas atteint de notre vivant !… On a gaspillé une situation unique. Jamais prince ne s’est trouvé plus maître de toutes choses que Pie IX dans les premiers mois de son pontificat. Tout ce qu’il aurait fait aurait été accueilli avec enthousiasme. C’est pour cela que je disais : Fixez donc les remises que vous voulez ; mais, au nom de Dieu ! fixez-les, et exécutez sans retard votre pensée[1]. »


Le gouvernement du saint père était loin de dédaigner ces utiles avertissemens ; il remerciait avec effusion l’ambassadeur, mais il n’osait pratiquer une politique si hardie. Les scrupules du chef de la religion ne contribuaient pas peu à contenir dans Pie IX les tendances du prince libéral. Effrayé des pas déjà faits, de ceux qu’on lui demandait de faire encore, le saint père fit paraître le motu proprio du 12 juin, bientôt suivi de la notification du 22. Ces deux pièces témoignaient des doutes dont sa conscience était agitée. Dans la notification, après avoir rappelé ce que le pape avait fait, commencé ou promis pour la réforme du gouvernement temporel de ses états, après avoir répété que le saint père était fermement décidé à s’occuper de l’amélioration successive de toutes les branches de l’administration, le cardinal secrétaire d’état ajoutait que sa sainteté était également résolue à ne pas sortir des limites que lui prescrivaient les conditions essentielles à la souveraineté temporelle du chef de l’église, et à conserver intact le dépôt qui lui avait été confié. « Le saint père, ajoutait-il, n’a pu en conséquence remarquer sans douleur les doctrines et les menées de quelques esprits agités, qui voudraient faire prévaloir auprès du pouvoir des maximes trop contraires au caractère élevé et pacifique du vicaire de Jésus-Christ, et faire renaître dans les populations des désirs et des espérances incompatibles avec l’établissement pontifical. »

Par ces proclamations inattendues, le gouvernement pontifical s’exposait de gaieté de cœur au danger que M. Rossi lui avait tant de fois signalé. Les paroles sévères et d’ailleurs bien méritées adressées aux exaltés excitaient leur colère, mais c’était mal prendre son temps, de leur jeter cette sorte de défi avant d’avoir, par aucune réforme accomplie ou en voie sérieuse d’exécution, rallié autour de soi les forces du parti modéré, laissé ainsi dans l’ignorance sur les intentions réelles du saint père. Pareille faute fut habilement mise à profit par les malintentionnés. Le pape fut représenté comme ayant passé entièrement sous le joug des partisans de l’ancien régime. Une consigne merveilleusement suivie interdit de se porter sur le passage de ce souverain, naguère salué de tant d’acclamations. Les têtes s’inclinaient encore respectueusement, mais froidement. Il n’y avait plus que tristesse et

  1. Dépêche de M. Rossi à M. Guizot, 28 juillet.