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comme à tout autre chef d’état, le droit de tout faire dans le temporel ? Cela est plus que douteux. Qu’il ne se laisse pas séduire par les doctrines des Gioberti et Lamennais, qui lui prêchent de s’appuyer sur le parti démocratique des idées catholiques, c’est là une fausse et funeste force. Si le pape voulait y avoir recours, il exposerait l’Europe aux plus grands dangers qu’elle ait courus depuis la chute du trône de France. » Cette appréciation ne manquait ni de vérité ni de raison ; elle n’indiquait pas non plus des dispositions d’esprit intraitables. Dans la négociation qu’il entama de concert avec le saint-siège pour obtenir que les choses fussent remises à Ferrare sur un pied peu différent de l’état antérieur, le gouvernement français n’eut qu’à se louer de l’esprit du cabinet de Vienne. Il réussit à concilier sans éclat les prétentions contraires. Ainsi fut peu à peu atténué, puis enfin terminé à la satisfaction des deux partis, un conflit qui avait failli ouvrir, un an plus tôt pour la malheureuse Italie, les abîmes où de plus imprudens amis l’ont depuis précipitée.

Le moins pressé n’était pas de calmer la juste irritation du saint-siège. M. Guizot se hâta d’approuver et le fond et la forme de la protestation du pape ; il exprimait seulement, vu l’état des esprits, quelques doutes sur la convenance de la publicité donnée à cette pièce.

« … Ou l’Autriche veut intervenir, et alors il ne faut pas lui en fournir le prétexte, ou elle ne le veut pas, et alors il faut lui laisser les moyens d’arranger les affaires à l’amiable. Le pape est maître d’arranger cette affaire purement avec l’Autriche ou de demander la médiation d’une puissance, la France, ou de deux puissances, la France et l’Angleterre, ou des puissances signataires des traités de Vienne. Tous ces moyens nous conviennent. Que pense M. Rossi du point de droit ? Il fait doute pour beaucoup de bons esprits…

« Il faut se garder, en Italie, de fonder des espérances sur une conflagration européenne. Cette illusion a déjà perdu et peut perdre encore la cause italienne. Que chacun fasse ses affaires à part, les Romains à Rome, les Toscans en Toscane, les Napolitains à Naples, et le succès alors est possible. En dehors du respect des traités existans, il n’y a pas de succès possible. Le triomphe des réformes partielles dans chaque état amènera plus tard le triomphe de la cause nationale italienne. Y viser aujourd’hui, c’est viser à une révolution en Italie et risquer une conflagration générale. La flotte française reste à portée de la Méditerranée[1]. »

Turin était le lieu où il était le plus urgent de garantir les esprits contre de dangereuses illusions. M. Guizot écrivait à notre chargé d’affaires :

« Les populations italiennes rêvent, pour leur patrie, des changemens qui ne pourraient, s’accomplir que par le remaniement territorial et le bouleversement de l’ordre européen, c’est-à-dire par la guerre et les révolutions. Des hommes,

  1. Lettre particulière de M. Guizot à M. Rossi.