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ne s’est point envolée, les ans n’ont point tari ses illusions, et tandis que l’inspiration poétique semble, parmi nous, fléchir sous une sorte de compression, Jasmin travaille encore ; il chante sans découragement ; il laisse aller au sein de la tourmente contemporaine ces vers de la Semaine d’un Fils, qui n’ont pas moins de grace, d’éclat et de valeur morale que les précédens. Ce serait donc une erreur singulière de croire que la meilleure condition pour la poésie, c’est d’intervenir dans le domaine orageux de la politique. Sa source, ses élémens sont ailleurs ; son intérêt, non d’un jour, mais de tous les instans, consiste dans la reproduction idéale des sentimens immuables et spontanés de notre nature, de ses instincts profonds, de la réalité émouvante et diverse de la vie. Il arrive parfois, au surplus, que cette libre et sincère reproduction de la vérité humaine sous toutes ses faces peut puiser d’une façon inattendue dans les circonstances cet attrait d’actualité si recherché, auquel les esprits secondaires sacrifient souvent toutes les autres conditions d’art. Ce double intérêt ne se rencontre-t-il pas dans quelques-uns des poèmes de Jasmin ? En peignant, comme il l’a fait dans ses œuvres, la vie populaire avec ses mœurs, ses habitudes, ses traditions, ses plaisirs naïfs et ses déchiremens inconnus, l’auteur de Marthe, outre les résultats poétiques qu’il a obtenus, ne se trouve-t-il pas avoir substitué d’avance à cette image grossière d’un peuple factice qu’on retrace — l’image d’un autre peuple simple, droit et sérieux, qui est le vrai peuple vivant hors du cercle où s’enferme l’idéal des sectaires ?

Le peuple en effet, — celui qui est l’objet des peintures de Jasmin, — a ses coutumes qui lui sont chères, ses mœurs au-dessus desquelles les révolutions passent sans les altérer sensiblement, ses goûts et ses idées, qui sont moins empreints de vulgarité que d’une ingénuité vigoureuse et simple. Toute cette existence a mille accidens dramatiques et originaux à qui il ne manque que d’être mieux connus. Il y a dans toute cette nature des mystères de force et de résignation qui ont un charme secret pour ceux qui les pénètrent ; et entre tous ces mystères, ne faut-il pas placer cet attachement singulier de l’homme de travail dans les campagnes pour la terre qu’il cultive ? Il lutte avec elle et il l’aime comme on aime tout ce qui coûte de la peine et des sueurs. Les saisons se succèdent et éveillent toujours en lui de nouvelles espérances, de nouvelles anxiétés. Chaque rosée féconde le réjouit comme pour la première fois, chaque gelée tardive est un souci et une déception. Il met sa vie et celle de sa famille, de ses enfans, dans ce coin de terre. Toute son ambition est d’y faire germer des moissons prospères, de l’agrandir, s’il peut. La moralité, la dignité de cette existence modeste dans laquelle passent ignorées des générations entières, c’est le travail