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L’église Saint-Paul offrait un large champ à l’imagination du peintre. Les deux nefs latérales, en se prolongeant vers l’extrémité de l’édifice, donnent au chœur un développement plein de variété et de richesse ; elles forment, aux deux côtés du chœur et de l’abside principale, deux galeries élégantes terminées par de petites absides. Le chœur apparaît donc comme divisé en trois parties, et ces parties sont liées entre elles par des arceaux bien ouverts qui permettent d’embrasser presque toute la décoration réservée au peintre par l’architecte. Malheureusement il n’y a pas là une seule muraille dont les dimensions aient fourni à M. Flandrin l’occasion d’une grande scène dramatique, comme à Saint-Germain-des-Prés le Portement de Croix et l’Entrée du Christ à Jérusalem. Les ouvertures des arceaux et les divisions de l’architecture ne laissaient guère que la grande abside entièrement libre ; dans toutes les autres parties du bâtiment livrées à son pinceau, l’artiste était obligé de placer des figures isolées. Il a sauvé cet inconvénient par la hardiesse d’une composition à la fois simple et savante, qui fait concourir toutes ces figures distinctes à l’expression d’une même pensée, à l’harmonie d’un sujet unique.

Plaçons-nous en face de l’autel. La première chose qui frappe la vue, c’est la grande abside du milieu. C’est aussi là que le peintre a tracé la partie la plus importante et comme la pensée même de son œuvre. Un Christ colossal est assis sur son trône, dans une attitude pleine de grandeur et de calme. La majesté divine éclate dans la sérénité de son front, dans la tendre profondeur de son regard, dans ce mélange de bienveillance et de force qu’exprime si harmonieusement cette belle figure. Ses bras, ouverts sans effort, semblent appeler à lui les humains. Est-ce l’ordre donné par la puissance suprême ? est-ce une invitation de l’amour infini ? C’est l’un et l’autre, c’est la puissance de la bonté. Qui ne se prosternerait devant la bonté ? qui ne serait vaincu par elle ? Regardez : à droite, un roi est comme abîmé aux pieds du Christ ; à gauche, c’est un esclave qui frappe aussi de son front les marches du trône divin. Celui-ci offre ses chaînes, celui-là son sceptre et sa couronne. Le premier et le dernier des mortels, le plus puissant parmi les maîtres du monde et le plus misérable parmi les êtres déshérités, l’un avec ses vêtemens de pourpre, l’autre nu et bruni par le soleil, ils sont là tous deux dans la même poussière ; un même niveau courbe leurs, fronts. Avec ces trois figures, avec ce Christ si fort, si doux, et ces deux personnages prosternés, M. Hippolyte Flandrin a écrit sur l’abside de Saint-Paul une composition du premier ordre. Soyez simple, a dit un maître, et vous serez fort. M. Flandrin a prouvé la justesse de cette parole féconde ; il a atteint à la grandeur par la simplicité, et cette grandeur est la seule vraie. L’égalité des hommes devant Dieu ne pouvait être exprimée par des moyens plus simples et produire une impression plus religieuse. Aucun effort, aucune prétention ; en opposant le roi et l’esclave, le peintre ne cherche pas une vaine antithèse, et il évite sans peine, par la sincérité du sentiment, cette emphase déclamatoire qui est l’écueil de la peinture monumentale. Ici, l’on ne songe même pas à ce danger, tant il y a de naturel et de noblesse dans ces savantes lignes, tant on est pénétré par la profonde tendresse de l’expression ! À droite et, à gauche de ce groupe sur lequel tout l’intérêt se concentre, le peintre a placé debout, dans une attitude méditative et calme, les deux grands apôtres du Christ, ceux qui, par des mérites opposés, ont jeté les premiers fondemens de son église, Ces deux