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figures ne servent pas seulement à encadrer avec art la scène que je viens de décrire, elles en complètent naturellement la pensée. De tous les dogmes moraux du christianisme, le plus neuf, le plus original, si je puis ainsi parler, celui qui établit la plus profonde distance entre l’enseignement de Jésus et les trésors de l’antique sagesse, c’est la fraternité de tous les hommes et leurs mêmes devoirs, leur même néant devant le Dieu unique. Cette grande vérité étant exprimée dans la scène qui remplit le milieu de l’abside, il convenait de faire apparaître aux deux extrémités les fondateurs et les gardiens du dogme, saint Pierre avec saint Paul. La gravité de leur maintien imprime encore à tout le tableau un singulier caractère de force ; austères, immobiles, solidement posés sur leurs pieds comme un rocher sur sa base, tout exprime en eux la puissance et présage l’éternelle durée du dogme qui met de niveau tous les humains. Je recommande particulièrement le saint Paul ; la beauté sévère de son visage, la fermeté de son regard, la majestueuse draperie qui enveloppe son corps sans nuire à la liberté de ses mouvemens, en font une des meilleures créations du peintre.

Ces cinq figures sont peintes sur un fond d’or ; mais, on le croira sans peine, il n’y a que cela de byzantin dans le chœur de l’église Saint-Paul. M. Flandrin ne pense pas que la peinture religieuse doive reproduire les formes du moyen-âge et renoncer à tous les progrès de l’art moderne. Ce fond d’or qu’il emprunte à la tradition byzantine convient d’ailleurs admirablement à certains sujets religieux exécutés par la peinture murale ; il détache les lignes avec plus de fierté, donne aux figures un caractère de grandeur approprié au monument, et, s’il s’agit surtout d’un symbole abstrait, d’une peinture philosophique et religieuse où la réalité ait moins de part, il est impossible de blâmer ce ciel de convention qui semble transporter les personnages au sein d’une sphère idéale. C’est là tout ce que l’auteur a emprunté aux procédés pittoresques (lu moyen-âge, et aucun juge éclairé ne s’en plaindra. Quant aux formes du dessin, quant à cette peinture enfantine, si gracieuse au XIIIe siècle et si déplaisante au XIXe, M. Flandrin se garde bien de l’imiter. Il ne veut pas, comme une certaine école en France et comme plusieurs peintres de Munich, confondre l’archaïsme avec l’art. Il sait que l’inexpérience candide dont nous sommes charmés dans les Paradis de Fra Angelico ne serait qu’un mensonge ridicule chez des hommes à qui les maîtres de la renaissance ont légué tant d’exemples de vérité et de perfection savante. S’il s’efforce, sans doute, de dérober aux artistes des primitives écoles cette tendresse profonde, cet incomparable amour qui nous enchante sous les bizarreries et les imperfections du dessin, il veut toujours que ce sentiment se traduise par des formes belles et vivantes. Marier la grace naïve du moyen-âge à la beauté souveraine des maîtres modernes, unir l’inspiration du dominicain de Fiesole aux conseils du peintre d’Urbin, telle est l’ambition qui l’anime ; cette tâche mérite bien qu’on y applique une volonté forte et des facultés éminentes.

Il y a cependant un détail par lequel M. Flandrin se rattache encore à la tradition des anciennes écoles d’Italie, c’est lorsqu’il a donné à son Christ des dimensions colossales dans une scène où les autres personnages ne sont pas plus grands que nature. Si le Christ de Saint-Paul de Nîmes se levait de son trône, il aurait dix-sept pieds de haut. Je ne déciderai pas dogmatiquement si un tel système,