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est forcé de le dénaturer, de lui prêter des sentimens qu’il n’a jamais connus, et nous avons le droit de lui demander pourquoi il baptise d’un tel nom un homme que l’histoire désavoue. Entre ces deux écueils, quelle route choisira le poète ? Il me semble difficile de répondre à cette question de manière à lever tous les scrupules, car si Maurice de Saxe a gagné des batailles, si Fontenoy et Raucoux ont placé son nom au premier rang dans l’histoire militaire de notre pays, ce n’est pas une raison pour voir en lui un personnage politique. Par son courage héroïque, et plus encore par l’habileté consommée de ses combinaisons stratégiques, il a décidé du sort de l’Europe, il a relevé le drapeau de la France, humilié l’orgueil de l’Angleterre, mais les grands événemens accomplis par son bras n’ont été ni prévus ni préparés dans sa pensée. Acteur sur le champ de bataille, il n’était, dans l’ordre politique, aux yeux du penseur, qu’un pur agent. Il conduisait à merveille ses bataillons comme les pièces d’un échiquier, mais, la bataille une fois gagnée, ce n’était pas lui qui remaniait la carte de l’Europe. Derrière le grand capitaine on ne trouve pas l’homme d’état. C’est pourquoi Maurice de Saxe, tel que nous le montre l’histoire, ne me semble pas offrir l’étoffe d’un personnage dramatique. Le poète veut-il laisser dans l’ombre le tacticien éprouvé qui excitait l’admiration du chevalier Folard vingt ans avant de gagner la bataille de Fontenoy, qui rendait compte au grand Frédéric de ses opérations militaires ; qui soumettait à son jugement les plans qu’il venait de réaliser ? S’il supprime le guerrier pour nous montrer l’homme aux prises avec la passion, que devient l’histoire, que devient la vérité ? Pour trancher cette difficulté, pour imposer silence à toutes les objections, il faut plus que de l’adresse, plus que de l’habileté, plus que du savoir faire, il faut un rare bonheur. Pour inventer la, passion dont l’histoire ne parle pas, pour trouver dans le grand capitaine l’étoffe d’un Hamlet ou d’un Roméo, pour toucher à l’histoire, pour l’assouplir sans la dénaturer, il ne suffit pas d’avoir l’œil pénétrant, la main légère. Arrivons à l’œuvre de MM. Scribe et Legouvé.

Au premier acte, nous sommes chez la duchesse de Bouillon. Nous assistons à la toilette de la duchesse qui s’entretient familièrement avec un abbé de cour. L’abbé, cela va sans dire, est amoureux de la duchesse et soupire discrètement. Dans l’espérance de réussir auprès de la femme qu’il aime et qui n’a pas encore reçu l’aveu de sa passion, il imagine de lui révéler l’infidélité de son mari. Aux premiers mots qu’il prononce, croyant l’étonner par son récit, la duchesse l’arrête bravement et achève sans embarras ce qu’il racontait en hésitant, partagé entre la crainte de l’affliger et le désir d’exciter sa colère. « N’est-ce que cela, vraiment ? Le duc aime la Duclos. Je le savais. La Duclos m’a prise pour confidente et ne fait rien sans me consulter. Vraiment, l’abbé, vous êtes d’une pauvreté désolante. Vous ne savez rien ; votre unique occupation