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LE PROPHÈTE


DE M. MEYERBEER.




L’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots vient de remporter une nouvelle et brillante victoire. Le Prophète a été représenté sur le Théâtre de la Nation. Chose singulière ! les obstacles sans nombre qui, contre la volonté du compositeur, ont retardé jusqu’à ce jour l’exécution d’une œuvre qui est terminée depuis 1843, semblent avoir été suscités par une volonté intelligente et propice qui aurait voulu préparer à M. Meyerbeer un cadre digne de son génie éminemment dramatique, car le sujet du Prophète a une bien grande analogie, hélas ! avec les tristes événemens qui se sont accomplis en Europe depuis un an.

À la suite de la réforme religieuse opérée par Luther au commencement du XVIe siècle, il y eut, en Allemagne, un grand mouvement populaire qui en fut la conséquence extrême et faillit bouleverser de fond en comble toute la société civile. Il se rencontra alors, comme de nos jours, des esprits ignorans et sauvages qui, peu satisfaits de la liberté de conscience qu’on venait à peine de conquérir sur le catholicisme tout-puissant, voulurent tirer de ce débat dogmatique des conclusions sociales qui effrayèrent les chefs mêmes de la réforme. C’est aussi au nom de l’égalité et de la fraternité évangéliques que ces énergumènes, disons le mot, que les socialistes du XVIe siècle soulevèrent les classes pauvres, particulièrement les paysans, contre les seigneurs et les châteaux, qu’ils pillaient et brûlaient avec fureur. Ces sectaires redoutables qui ont épouvanté l’Allemagne de leurs monstrueuses folies s’appelaient anabaptistes, parce que, voulant rompre avec la tradition et répudier l’héritage du passé, ils imposaient à leurs néophytes un nouveau baptême, symbole de la vie nouvelle qu’ils apportaient aux nations. Parmi les nombreux illuminés qu’on vit surgir de toutes