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-huit barils de poudre qu’on a découverts à l’Hôtel-de-Ville, et la dalle enlevée qui donnait accès à une mèche extérieure ? M. Pagnerre a vu les barils, la dalle enlevée et la mèche extérieure. On voulait, disait-on, faire sauter le gouvernement provisoire. Comment un pareil fait n’a-t-il pas donné lieu à une instruction judiciaire ? comment n’y donne-t-il pas lieu aujourd’hui même ? Sommes-nous dans un temps et dans un pays où l’on puisse dire : On a voulu faire sauter le gouvernement provisoire et un édifice public ; on a vu la poudre et la mèche. — Eh bien ? — Eh bien ! ils n’ont pas sauté, et voilà tout.

L’histoire du gouvernement provisoire est tout entière dans l’examen des comptes du département de la Seine, tels que les présente M. Ducos. Quel curieux récit ! quels portraits vivans des personnages principaux ! Quelle peinture du temps ! Chacun fait sa police personnelle, c’est-à-dire que chacun pourvoit à sa sûreté, comme au temps de la féodalité. Chacun a sa garde et sa forteresse. Mais de ces châtelains du 24 février, le plus redoutable, parce qu’il a la forteresse la plus inexpugnable et la mieux gardée en apparence, c’est le préfet de police. Adossée de trois côtés aux bâtimens du palais, la préfecture de police n’est abordable qu’au midi. C’est donc le préfet de police qu’il s’agit surtout de surveiller à l’aide d’une contre-police. Quant à sa garnison, on séduit un des corps les plus affidés. Avec de l’argent aussi, « on a des rapports très circonstanciés de ce qui se passait dans les clubs, dans les sociétés secrètes, à la préfecture de police, au ministère de l’intérieur. Ces rapports d’hommes considérables, qui étaient à l’abri de tous soupçons, avaient une grande valeur et se payaient cher. » Des hommes considérables ! à l’abri de tous soupçons ! On sait à l’aide de quels mérites et de quelles vertus on était sous les clubs et dans les sociétés secrètes des hommes considérables et à l’abri du soupçon.

Comme le ministère de l’intérieur était surveillé par la mairie de la Seine, il surveillait aussi de son côté la mairie ; l’état payait les deux polices. « Avons-nous besoin, dit M. Ducos, de nous étendre sur ces pénibles révélations ? Le simple exposé des faits n’en dit-il pas assez ? Voilà des hommes qui reçoivent la mission en quelque sorte providentielle de conduire les destinées de la révolution et de fonder un nouveau gouvernement, et qui en sont réduits à se surveiller les uns les autres ! Quand l’anarchie règne à ce point dans les régions élevées du pouvoir, doit-on s’étonner du désordre et du déchirement de la société tout entière ? » Nous serions tentés de croire que la mission providentielle est de trop dans la phrase de M. Ducos, et, comme nous nous intéressons beaucoup au bon Dieu, nous n’aimons pas qu’on lui fasse prendre les dictateurs du 24 février pour les ministres de sa providence : il les a pris tout au plus pour les ministres de sa justice. Ce scrupule mis à part, nous approuvons vivement le rapport de M. Ducos ; nous le regardons comme une des pages d’histoire les plus instructives qui aient été écrites depuis dix-huit mois, et nous espérons que la société actuelle y prendra de justes motifs de crainte et de prévoyance. Les hommes dont M. Ducos examine les comptes sont encore debout, prêts à envahir la société, et, s’ils réussissaient dans leur invasion, nous n’aurions même plus la ressource que nous avons trouvée dans les trois ou quatre Oromaze du gouvernement provisoire ; nous n’aurions plus affaire qu’aux Arimane du parti.

L’armée, voilà ce qui doit attirer sans cesse l’attention du gouvernement et de la nouvelle assemblée, car l’armée est le grand boulevard de la société me-