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cour aux belles. Celles-ci visitaient par essaims la demeure assignée à Melville et à Toby, qui apprirent bientôt que le code moral de la population n’ordonne pas la chasteté.

Les femmes taïpies ont deviné sans doute que c’est chose peu favorable à la grace de se peindre et de se piquer le corps ; elles sont peu tatouées et en général elles justifient l’admiration de Bougainville et de Cook. « Je remarquai spécialement, dit Melville, une Armide de seize ans et demi, dont le nom était Fayaway, qui dansait comme une fée et qui avait les plus beaux yeux noirs et les traits du monde les plus réguliers. Trois petits points rouges, gros comme une tête d’épingle, au-dessus des lèvres, et une « épaulette de petite tenue » sur chaque épaule, voilà les seuls crimes de tatouage que l’on pût lui reprocher. Elle chantait bien, sa voix était douce, son humeur égale, et je me rappellerai toujours avec délices les soirées passées sur le lac avec elle pendant qu’elle donnait à notre canot, de sa brune main merveilleusement fine et déliée, une impulsion légère. »

L’existence sauvage faite à nos aventuriers était douce, comme on le voit. Le logement que le roi Méhévi leur avait assigné offrait même une disposition architecturale singulièrement gracieuse.


« Sur le flanc d’une colline assez abrupte, recouverte d’une végétation luxuriante, des dalles blanches superposées par étages, à la hauteur d’environ huit pieds, formaient une espèce de piédestal sur lequel la maison était perchée, et qui était absolument semblable, en hauteur et en longueur, à la maison elle-même. Ce parquet régulier et oblong avait douze toises de long sur douze pieds de large. Une espèce de balcon avait été ménagé sur la face antérieure du bâtiment ; un treillis en cannes de bambou l’entourait. La charpente était faite de grosses liges de bambous plantées verticalement et maintenues par des traverses horizontales, faites du bois léger de l’hibiscus et rattachées par des écorces. Au fond de l’habitation, un treillage serré, fait de rameaux et de feuilles de cocotier artistement tissues, ne laissant passage ni à l’air ni au jour, et formant un angle très ouvert, s’inclinait doucement pour atteindre le sommet de l’habitation ; de ce point, le toit formait un angle aigu qui s’arrêtait à cinq pieds du sol ; les extrémités des fleurs pendaient comme des guirlandes au front de l’habitation. Les trois autres côtés du bâtiment, formés de joncs entrelacés et comme brodés d’écorces rouges et bleues, laissaient pénétrer librement la lumière, la brise et le parfum des fleurs. Rien de plus pittoresque et de plus commode. En dehors de l’habitation, on avait ménagé un espace libre où se trouvait une petite cabane servant de garde-manger et de cellier. À quelques toises des dalles, s’élevait un grand hangar, où l’on préparait le poïe-poïe et les autres alimens. Il fallait se baisser un peu pour entrer dans la maison ; alors on voyait devant soi, parallèles à la palissade ou muraille dont j’ai parlé, deux poutres ou troncs de cocotiers ronds, admirablement polis et à deux toises environ l’un de l’autre. L’espace qui les séparait se trouvait occupé par plusieurs nattes de couleurs vives et de dessins variés, servant de lit aux indigènes. C’est leur divan oriental ;