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Ici commence une odyssée symbolique de la plus étrange nature très gauchement imitée de Rabelais, — odyssée qui va nous plonger dans un monde de fantômes extravagans et d’ombres allégoriques. Tour à tour les aventuriers rendent visite aux chefs des petites îles de l’archipel, qui tous ont une signification symbolique. Borabolla le gastronome représente évidemment l’épicuréisme ; Maramma, c’est le monde religieux, la superstition ; Donjalolo, c’est le monde poétique ; l’antiquaire Oh-oh est le symbole de l’érudition. Un chapitre semble consacré à l’étiquette des Espagnols, un autre au génie artiste des Italiens, un troisième à la mobilité française. Je pense que l’île de Pimminie doit être le beau monde, la société exquise dont M. Melville fait une satire assez piquante. C’est en deux mots la jeune Amérique se moquant de la vieille Europe. Nous ne serions point fâchés de recevoir quelques leçons de cette jeune enfant précoce et robuste ; notre décrépitude en a besoin, et nous jouons des comédies fort tristes ; mais M. Melville s’y est mal pris pour nous endoctriner ou nous parodier. Que nous importent les interminables excursions de Melville, de Sancoah et de Jarl ? Qu’avons-nous à faire du roi Prello et du roi Xipho qui symbolisent la féodalité et la gloire militaire ? Ce ne sont plus là nos terreurs présentes ; — notre XIXe siècle a d’autres ennemis à combattre.

Enfin une reine, la reine Hautia, qui s’est éprise du voyageur, s’avise d’enlever la jeune captive. De temps à autre Hautia qui doit être quelque chose comme la Volupté envoie à Melville trois de ses femmes de chambre, armées de fleurs symboliques que le héros ne manque pas de lui renvoyer. Au milieu de ce chaos, les vieilles théories de d’Holbach, les dogmes déjà surannés de Hegel, l’algèbre panthéistique de Spinoza se mêlent et se heurtent avec une confusion inextricable. Les lieux communs philosophiques des écoles incrédules se voilent sous mille replis symboliques, et l’auteur paraît croire que ce sont là de bien grandes audaces ; — qu’il sache que nous sommes tout-à-fait blasés sur les blasphèmes.

Le second volume est consacré à cette satire obscure des croyances européennes et aux vagues doctrines d’un panthéisme sceptique. Aucun des voyageurs n’a pu retrouver le Bonheur humain (Aylla) ; ils n’acceptent pas la Volupté (Hautia) comme compensation suffisante. Alors on fait voile pour Mardi, une espèce de monde dans les nuages ; — du symbolisme métaphysique nous passons à l’allégorie transparente.

Mardi, c’est le monde politique moderne. Cette partie offre l’intérêt le plus piquant de l’ouvrage ; on est curieux de savoir comment un républicain des États-Unis juge la civilisation du présent et celle de l’avenir, et résout l’obscur problème des humaines destinées. Passons rapidement sur les inventions de noms étranges dont l’Europe, la France, l’Amérique, sont baptisées par l’auteur : c’est Dominora (l’Angleterre), Franko (la France), Ibiria (l’Espagne), Romara (Rome), Aps-