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des lettres que de leur histoire, et elle fait plus de portraits que de tableaux. Elle est plus curieuse de ce que les écrivains ont en propre que de ce qui leur vient du dehors, et des différences que des ressemblances. Le portrait, dans la diversité infinie de ses nuances, voilà où elle excelle. Pour elle tout auteur est un type, et aucun type n’est méprisable. Aussi ne donne-t-elle pas de rangs ; elle se plaît à ces talens aussi divers que les visages. Elle est plus poétique que philosophique ; car la philosophie s’attache aux ressemblances, aux lois générales de l’esprit ; la poésie, c’est le sentiment des variétés de la vie individuelle. Pour le fond comme pour la méthode, cette critique est celle qui s’éloigne le plus de la forme de l’enseignement, et qui a l’allure la plus libre. La pénétration qui ne craint pas d’être subtile, la sensibilité, la raison, pourvu qu’elle ne sente pas l’école, le caprice même à l’occasion, le style d’un auteur qui sent tout ce qu’il juge, le fini du détail, l’image transportée de la poésie dans la prose, telles en sont les qualités éminentes. Je mettrais un nom au bas de cette théorie, si j’étais plus sûr de n’y avoir rien omis.

J’éprouve quelque embarras à définir la troisième sorte de critique. Si les deux autres rappellent l’histoire sous ses deux formes, celle-ci se rapproche plus d’un traité. Elle a la prétention de régler les plaisirs de l’esprit, de soustraire les ouvrages à la tyrannie du chacun son goût, et d’être une science exacte, plus jalouse de conduire l’esprit que de lui plaire. Elle s’est fait un idéal de l’esprit humain dans les livres ; elle s’en est fait un du génie particulier de sa nation, un autre de la langue française. Elle met chaque auteur et chaque livre en regard de ce triple idéal ; elle note ce qui s’y rapporte, voilà le bon ; ce qui en diffère, voilà le mauvais. Si son objet est élevé, si l’on ne peut pas l’accuser de faire tort ni à l’esprit humain qu’elle veut contempler dans son unité, ni au génie de la France qu’elle veut montrer toujours semblable à lui-même, ni à notre langue qu’elle défend contre les caprices du goût, il faut avouer qu’elle se prive des graces que donnent aux deux premières sortes de critiques la diversité, la liberté, l’historique mêlé aux jugemens, la beauté des tableaux, le piquant des portraits. J’ai peut-être des raisons personnelles pour ne pas mépriser ce genre ; j’en ai plus encore pour le trouver difficile et périlleux.

La quatrième sorte de critique n’épuise ni une époque, ni un auteur, ni une théorie. Elle n’est ni une histoire, ni une biographie, ni un traité. Elle choisit un sujet qu’elle circonscrit à dessein, aimant mieux se tracer un cercle restreint d’où elle pourra sortir, si la vérité ou l’agrément le demandent, que de s’ouvrir un cadre trop vaste qu’elle risquerait de ne pas remplir. Le sujet choisi, s’il s’agit, par exemple, de l’usage des passions dans le drame, elle recueille dans les auteurs dramatiques les plus divers et les plus inégaux les traits vrais ou spécieux