Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/643

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au vrai point d’où elle doit être vue. Il ne faut pas abuser de cet art, ni faire comme tels de ces connaisseurs qui ne souffrent pas qu’une fois placé on fasse un mouvement, et qui vous donneraient des contorsions pour vous mettre au point. M. Saint-Marc Girardin ne tombe pas dans cet excès. Il n’y a même pas à se prêter beaucoup à ce qu’il veut ; il a si raison et si doucement, qu’on vient à son avis sans croire lui faire une concession, et que le préjugé est parti sans qu’il ait eu besoin de l’attaquer. Sur ce point, je suis plus qu’un lecteur charmé : je suis, qu’il me permette de l’en remercier, un converti. Il est tel auteur, tel ouvrage, contre lesquels j’avais des préventions. Ils étaient en dehors d’une catégorie, d’un genre ; ils contrariaient une doctrine. Je les avais exclus, comme certain ministre qui ne donnait audience aux gens que sur le vu de leur brevet ; on ne lui faisait pas passer sa carte ni son nom, mais son diplôme. Ainsi je faisais pour certains auteurs. M. Saint-Marc Girardin m’a pour ainsi dire amené par la main devant eux ; il m’a montré, à côté du vrai que je poursuivais, un vrai que je ne voyais pas, parce que j’en cherchais un autre. Il m’a fait la leçon, en ajoutant à mes plaisirs. Attaché à un idéal sévère, j’ai toujours peur d’être exclusif, moins par le vain désir de passer pour un esprit étendu qu’à cause du ridicule d’être injuste contre mon propre intérêt. Je dois au Cours de Littérature dramatique des connaissances de plus et des préventions de moins. En louant sur ce point M. Saint-Marc Girardin, je ne fais que m’acquitter.

Ces jugemens bienveillans sur des ouvrages ou sur des auteurs secondaires sont d’ailleurs sans préjudice des principes du grand goût français. M. Saint-Marc Girardin ne sacrifie pas l’intégrité de la foi à la douceur des petites pratiques. Il est, lâchons le mot, classique ; mais, dans l’église commune, il est du parti de la tolérance. Il aime la diversité et la liberté des talens. Seulement, ne touchez pas aux bons sentimens de l’homme, ne cherchez pas le succès dans quelque violation des lois éternelles de la morale. Là-dessus, il n’est pas endurant, non par une fidélité de méthode à la pensée principale de son livre, mais parce qu’on s’attaque aux croyances et aux convictions de sa vie. L’honnête homme est moins coulant que le critique. Je le comprends. La tolérance du critique peut venir de justice ou de modestie ; il s’agit d’écrivains comme lui, d’ouvriers dans le même art. Notre goût nous appartenant plus que notre conscience, nous pouvons, par défiance de nous-mêmes, ou le sacrifier, ou du moins en obtenir des concessions. Mais il n’y a pas d’accommodemens à demander à la conscience une main d’en haut l’a mise en nous, non pour recevoir nos lumières, mais pour nous imposer les siennes. On peut transiger sur le bon et le mauvais dans les lettres ; on doit être intraitable sur le bien et le mal dans l’ordre moral. La sévérité de M. Saint-Marc Girardin est d’ailleurs