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de Toréno, eut peut-être le tort d’écrire son histoire du soulèvement de l’Espagne avec trop de livres, lorsqu’il pouvait avoir plus amplement recours aux personnages marquans des deux pays, qu’il avait tous fréquentés et dont l’estime lui était acquise. M. de Toréno était un homme d’état, on ne peut lui refuser ce titre. Il réunissait à l’élévation des vues, à la générosité du cœur, des sentimens de patriotisme un peu calmes, il est vrai, mais réels ; c’est ce patriotisme même qui nous rend suspects les jugemens qu’il a portés. Espagnol d’antique roche, de bon vieux sang chrétien, comme on dit en Espagne, l’un des membres les plus élevés de cette aristocratie castillanne qui subsiste encore au milieu des révolutions si diverses dont l’Europe a été le théâtre, parce qu’elle a su en tout temps conserver une certaine communauté avec le peuple, et s’identifier avec ses penchans comme avec ses croyances, M. de Toréno était trop préoccupé des infortunes de son pays pour se placer avec impartialité sur le terrain neutre de l’histoire ; mais son livre a du prix en ce qu’il représente assez fidèlement les opinions espagnoles. C’est, pour qui sait y lire, un bon recueil de documens sur l’héroïque soulèvement de l’Espagne, et, bien que l’auteur ait pris soin de nous avertir que son ouvrage est non pas seulement espagnol, mais européen, ce n’est que sous le point de vue, honorablement exclusif, de la défense de la patrie que son livre a quelque valeur.

Un homme d’état, désigné à cet effet par Napoléon lui-même, muni d’un mandat impérial posthume pour écrire l’histoire de notre diplomatie moderne[1], et admis à consulter les documens amoncelés dans le précieux dépôt des archives du ministère des affaires étrangères, M. Bignon, a longuement exposé, dans son Histoire de France sous Napoléon, les différentes phases des négociations qui précédèrent la chute des Bourbons d’Espagne en 1808 ; mais, dès le début de son récit, cet historien éminent se jette dans une série de considérations complexes qui semblent dénoter, dans mon humble opinion, le besoin qu’il éprouve involontairement d’épancher son blâme plutôt sur le système politique que Napoléon avait conçu à l’égard de l’Espagne que sur le tribut que l’homme de génie paya, en cette circonstance difficile, aux passions humaines ; en un mot, pour parler plus net que M. Bignon, sur la duplicité et la perfidie qui présidèrent aux opérations militaires et aux actes politiques de Napoléon à cette époque. En effet, M. Bignon, dont le coup d’œil étendu et l’esprit sûr méritent assurément tout notre respect, et qui avoue d’ailleurs, avec l’austère probité qui le distingue, tout ce qu’il y avait de repréhensible dans le parti pris par Napoléon de démembrer l’Espagne et de détrôner en même temps son souverain,

  1. « Je l’engage à écrire l’histoire de la diplomatie française de 1792 à 1815. » (Testament de Napoléon.)