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des questions délicates ont été traitées avec succès dans son livre ; en un mot, il a fait un digne usage des trésors historiques que la confiance de ses chefs lui avait ouverts. Toutefois M. Lefebvre ne pouvait tirer de ces précieuses archives que ce qui s’y trouvait. Peut-être ignorait-il l’existence cachée de la partie la plus importante des pièces diplomatiques relatives à l’affaire d’Espagne, de la correspondance de Napoléon avec Murat, Savary et ses autres agens, enfouie dans le dépôt particulier du Louvre, lieu plus secret, plus inaccessible, et qui est aux archives du ministère ce qu’est aux Studj de Naples le musée réservé où l’on dérobe aux curieux maintes vérités trop nues et certaines scènes qui ont besoin d’un voile. Une note de M. Thiers, placée à la fin de son livre, et qui pourrait lui servir d’introduction, si les livres si lucides de M. Thiers avaient besoin de préface, note pleine d’égards pour le talent de M. Lefebvre, nous fait connaître toute la valeur des documens qui se trouvent dans ce dépôt du Louvre.

Les rois aiment à traiter par eux-mêmes les affaires étrangères, où, dans les états despotiques comme dans les pays constitutionnels, la personnalité du souverain est plus en jeu qu’ailleurs. Les souverains médiocres échappent seuls à ce besoin. Le roi de Prusse Frédéric II était encore plus grand diplomate que grand homme de guerre ; Philippe II, Louis XIV, étaient des négociateurs consommés. À un degré au-dessous, Louis XV, Joseph II, l’empereur Alexandre, rédigeaient eux-mêmes une partie des dépêches que signaient leurs ministres. Que le destin donne un jour à l’Angleterre, où les formes constitutionnelles sont si affermies et si respectées, un souverain d’un esprit actif et supérieur, que le successeur futur de cette ligne de rois gentlemen, agronomes ou matelots, de ces princesses vouées par leurs vertus et leur grace même aux plaisirs du monde et au culte des devoirs domestiques, soit doué d’un vaste entendement politique, constitué comme l’étaient Élisabeth et Henri VIII, c’en sera fait de la fiction représentative, et la barrière qu’elle oppose à l’activité royale sera bientôt abaissée. Un despote de génie tel que Napoléon pouvait moins que tout autre abandonner à ses ministres la direction de ses relations extérieures, qui n’étaient, après tout, que le résultat de ses propres conceptions. Le choix de M. de Champagny comme successeur de M. de Talleyrand, qui venait de céder à la puérile idée de faire figurer le descendant des Bozons parmi les grands dignitaires de l’empire, indique assez que Napoléon ne demandait que la capacité d’un bon commis à son nouveau ministre. Disons, contrairement à l’opinion de M. Armand Lefebvre, que M. de Talleyrand lui-même n’exerça pas près de Napoléon, et dans la direction des affaires étrangères, tout l’ascendant qu’on lui a bénévolement prêté. Ce ne fut qu’après la chute de Napoléon que le négociateur au congrès de Vienne prit la haute main en Europe, et exerça