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assez forte pour résister aux envahissemens d’en haut comme à ceux d’en bas, et qui s’est perpétuée jusqu’ici dans les mêmes institutions et presque dans les mêmes familles ; tandis qu’en France la classe gouvernante après 1830, manquant absolument de ces élémens de résistance et de cohésion, fut prise et pour ainsi dire étouffée entre deux pressions contraires, entre la couronne et les pavés.

Les similitudes qui se présentent dans les événemens généraux des deux époques se retrouvent aussi dans les accidens et dans les épisodes, dans la petite histoire comme dans la grande. Les troubles populaires qui inaugurèrent l’avènement de George Ire en sont un frappant exemple. Il y avait d’un côté les whigs avec les dissidens et une partie du moyen clergé qui soutenaient la nouvelle dynastie ; de l’autre les tories et le haut clergé qui étaient restés les partisans de la famille exilée, et qui formaient le parti des jacobites et des non-assermentés. Les tories avaient eu quelques années de triomphe sous la reine Anne. Robert Harley et Henri Saint-John, élevés à la pairie sous les noms de lord Oxford et lord Bolingbroke, étaient ministres au moment de la mort de la reine. Ils ne purent cependant empêcher l’aristocratie whig de faire proclamer le roi George, et naturellement le nouveau souverain se jeta dans les bras du parti qui l’avait mis sur le trône. Dès-lors les tories lui firent une guerre active, non-seulement dans les chambres, mais aussi dans la chaire, dans la presse et dans la rue.

Un des hommes dont le nom est resté des plus marquans dans cette guerre de faction fut un ministre de l’église appelé le docteur Sacheverell. Il avait attaqué en chaire la révolution et s’était fait mettre en accusation ; c’était précisément ce qu’il cherchait. Son procès fit grand scandale ; nous n’en parlons toutefois que parce qu’il fut le sujet de la première caricature politique du XVIIIe siècle. Le docteur y est représenté écrivant son sermon, et soufflé d’un côté par le diable, de l’autre par le pape. La caricature est intitulée : Les trois faux frères. Le parti légitimiste ou jacobite était alors dénoncé par les whigs comme le parti du papisme et de l’étranger ; le prétendant et sa mère étaient représentés accompagnés d’un jésuite français quêtant pour la veuve et l’orphelin. Les tories, de leur côté, dénonçaient les whigs comme des impies, des niveleurs et des têtes rondes ; ils travaillaient beaucoup la basse classe, inondaient les villes de caricatures et de chansons ; leur cri populaire était : « A bas les têtes de veau ! à bas les tueurs, de rois ! » Ils en vinrent bientôt à l’émeute, et le jour du couronnement de George Ier, le 20 octobre 1714, « la canaille de la haute église, » comme l’appelaient les whigs, se souleva dans Bristol aux cris de : À bas les têtes rondes ! Vive Sacheverell ! Dans plusieurs autres villes, on porta publiquement la santé du prétendant. Néanmoins les élections de 17144 donnèrent aux whigs une très forte majorité. À cette occasion