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Du reste, ils ne se faisaient pas faute de faire eux-mêmes des contre-manifestations. Les journaux de 1715 racontent une procession qu’ils organisèrent avec les effigies du pape, du prétendant et de Bolingbroke ; le prétendant était précédé de deux nourrices, l’une portant un biberon et l’autre une bassinoire. Les mannequins, le carcan au cou, furent promenés dans la Cité et brûlés dans un grand feu de joie. Ces batailles des rues se continuèrent pendant long-temps, jusqu’au jour où, après un assaut livré par les jacobites à un cabaret loyaliste, et dans lequel il y eut plusieurs hommes tués, un certain nombre des émeutiers furent mis en jugement et pendus. Après cet exemple, la tranquillité se rétablit peu à peu, l’issue malheureuse de la rébellion de 1715 ayant d’ailleurs porté un coup funeste aux jacobites.

L’agitation publique prit bientôt une autre direction ; elle se jeta dans les spéculations, et le pamphlet et la caricature l’y suivirent. L’Écossais Law, forcé de quitter son pays après un duel, venait d’établir à Paris, en 1717, la compagnie du Mississipi. Pendant deux ans, la compagnie ne fit que des opérations insignifiantes ; mais, en 1719, elle s’incorpora la compagnie des Indes et celle de la Chine, et ses actions haussèrent rapidement ; elles atteignirent bientôt le chiffre de 1,200 pour 100. Law fut le maître de la France, le régent le fit contrôleur-général des finances ; Paris avait tant d’argent qu’il ne savait qu’en faire. L’Angleterre, à son tour, se jeta à corps perdu dans la voie ouverte par Law ; le parlement passa un acte avec la compagnie de la mer du Sud, qui se chargeait de payer la dette nationale, et Walpole fut presque le seul à protester contre l’enivrement général. Tories, whigs, jacobites, loyalistes, épiscopaux, dissidens, tous oublièrent leurs vieilles querelles et ne s’arrachèrent plus que les actions, qui montèrent en peu de temps à 1,000 pour 100. Le parlement tenta en vain de refréner la fureur du jeu, en interdisant la formation de compagnies sans autorisation. Il s’en faisait de tous les côtés ; elles remplissaient les journaux de leurs annonces ; les simples promesses d’actions se vendaient avec des primes énormes. Il arrivait quelquefois qu’un individu louait une chambre pour un jour dans la Cité, ouvrait le matin une liste de souscription, recevait un dépôt pour les actions, et décampait le soir avec les livres et l’argent. On ne s’informait pas même de la réalité de l’objet qui était mis en actions ; il y eut, entre autres, une compagnie qui s’annonça dans les journaux avec ce titre : « Pour une entreprise qui sera expliquée en temps opportun. » Ces folies ne causeront aucune surprise à quiconque a été témoin du jeu terrible auquel ont donné lieu les chemins de fer en Angleterre il y a deux ans, et des catastrophes financières qui en ont été la suite. N’avons-nous pas aussi devant les yeux la fièvre californienne ? Le XIXe siècle n’a rien à envier, sous ce rapport, à son prédécesseur.