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même comme descendant d’une illustre et antique lignée, comme régulateur émérite des formes de la cour disparate qu’on tâchait de construire. Aux quartiers-généraux, où le mandait quelquefois Napoléon, M. de Talleyrand jouait un rôle moins brillant. Les coups de canon, qui se faisaient souvent entendre de près au quartier impérial, n’étaient pas du goût de M. de Talleyrand, et là, l’empereur, plus rapproché de ses agens militaires, se sentait encore moins confiant en son ministre, dont les travaux roulaient sur des questions générales, sur des faits accomplis ou près de s’accomplir. Quant aux faits ultérieurs, il eût été difficile de les surprendre à Napoléon, qui les cachait à Duroc, à Savary et même à Caulaincourt, son agent de prédilection.

À l’époque dont traite ce huitième volume de M. Thiers, la pensée impériale n’était d’ailleurs connue de personne. Les agens de Napoléon à Madrid, militaires ou diplomates, marchaient, guidés pas à pas par la main de Napoléon, sans distinguer le but vers lequel ils s’acheminaient. Il y a plus : Napoléon n’avait pas complété sa propre pensée et flottait entre plusieurs projets sans se résoudre. Ce qu’il y avait de grand et de généreux en son cœur se révoltait à l’idée d’être désapprouvé par les honnêtes gens, de choquer la conscience humaine, d’ouvrir une page sombre de plus dans ses comptes avec l’histoire. Il s’arrêtait indécis après chacune de ses démarches. Sa correspondance, compulsée par M. Thiers, fournit la preuve de cet état de son esprit. La correspondance officielle des affaires étrangères, qui consiste en quelques dépêches de M. de Champagny aux agens à Madrid, et en dépêches très nombreuses et très prolixes de M. de Beauharnais, ambassadeur de France en Espagne, ne répand que peu de lumières sur cette ténébreuse négociation. Le fait est bien simple. Les véritables agens de Napoléon étaient ses généraux, ses envoyés militaires : c’était Murat, et, plus tard, Duroc et Savary. Les ordres du ministre de la guerre, relatifs à l’envahissement du nord de l’Espagne, au passage de troupes destinées en apparence à l’expédition du Portugal, qui ne fut qu’un prétexte pour l’affaire subséquente, les ordres financiers pour l’approvisionnement des corps, pour fixer le contingent de fonds et de munitions nécessaires aux besoins matériels du soldat et à sa sécurité pendant la durée probable de l’occupation, sont les véritables indices des desseins successifs de Napoléon. Quant à l’ambassadeur, il ne pouvait, il ne devait rien savoir. M. de Beauharnais était un homme médiocre et plein de probité. On sait que, dès le début de sa mission, il avait conçu, lui aussi, son idée personnelle. Il s’était rapproché du prince des Asturies, depuis Ferdinand VII, dans l’espoir de l’amener à épouser une de ses parentes, Mlle de Tascher, nièce de l’impératrice Joséphine, et son faible esprit, uniquement concentré dans cette pensée, s’épuisait à la suggérer à Napoléon sous mille ambages que l’empereur s’obstinait