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de Milan. Le souvenir des augures romains me revint à la pensée, je me laissai aller au souffle de la superstition, et, joyeux de ce pronostic de victoire, je courus près du fleuve, attendant avec impatience l’ordre de le franchir.

J’aperçus le roi Charles-Albert à pied près du pont ; sa figure exprimait le calme et la satisfaction. Le général Chrzanowski était auprès de lui ; la petitesse de sa taille faisait le plus singulier contraste avec la haute stature du roi. Ses traits, où le type kalmouk était fortement marqué, annonçaient une nature énergique, et il était difficile de voir le général sans éprouver pour lui un sentiment d’estime qui se changeait, à mesure qu’on le connaissait mieux, en une affectueuse sympathie.

Midi était déjà passé depuis long-temps, et aucun mouvement ne se faisait remarquer. Le général attendait sans doute que le canon se fît entendre dans la direction de Pavie. Enfin, à une heure et demie, l’ordre fut donné au duc de Gênes de faire une reconnaissance sur Magenta avec toute sa division ; on prescrivit en même temps à la troisième division de se porter au pont de Buffalora pour le soutenir au besoin. Bientôt une compagnie de bersaglieri se présenta à l’entrée du pont ; le roi les arrêta du geste et, se mettant le premier à leur tête, marcha intrépidement vers la rive opposée. Il y eut un moment de poignante inquiétude. Peut-être le pont était miné, peut-être la rive ennemie était garnie de tirailleurs cachés dans les broussailles et les fossés, et l’intrépide monarque pouvait payer de sa vie cette action téméraire ! Enfin il toucha du pied le sol lombard, et un cri général d’enthousiasme salua l’arrivée du prince dans ses nouveaux états, pendant que les cavaliers ennemis fuyaient à bride abattue vers la douane autrichienne, d’où aussitôt s’élevèrent d’épaisses colonnes de fumée, annonçant un vaste incendie.

Ce passage du Tessin fut magnifique. J’avais été employé les 18 et 19 à reconnaître le fleuve, les gués et les avant-postes ennemis sur toute la ligne ; j’étais déjà très fatigué ; mais un tel spectacle était bien fait pour me ranimer. Je vis la guerre ouvrir de nouveau sa noble arène, et j’oubliai la faute des hommes qui nous précipitaient si étourdiment dans cette lutte inégale, avec une armée de soldats fidèles, mais sans enthousiasme, et d’officiers vantons, mais ennemis déclarés d’une guerre qu’ils condamnaient comme entraînant la ruine de leur pays. Je ne vis plus que le glorieux champ d’activité périlleuse qui allait s’ouvrir devant nous.

Quelques instans après, le roi arrivait à Magenta, dont les habitans se pressaient avec admiration autour de lui, le proclamant le libérateur de l’Italie. L’ennemi avait disparu. À peine quelques coups de fusil furent-ils tirés sur de faibles détachemens qui se repliaient rapidement vers Cisliano. À Magenta, nous apprîmes que les Autrichiens avaient