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d’abnégation devait être inutile, et le sang le plus noble du Piémont devait couler sans profit pour la cause italienne !

La mort du général Passalaqua vint priver l’armée d’un de ses chefs les plus braves. Les paroles qu’il prononça quelques instans avant de mourir donneront une idée parfaitement exacte de l’esprit qui animait l’armée et permettront de porter un jugement sur ses calomniateurs. Le général Passalaqua causait avec ses officiers lorsqu’il reçut l’ordre de se porter en avant : « Messieurs, leur dit-il, vous savez qu’étant en retraite, je pouvais me dispenser de servir. Vous savez que je n’approuve pas cette guerre, et que je suis peu partisan des idées nouvelles ; mais je désire que tous les parleurs qui nous gouvernent actuellement fassent leur devoir comme je saurai remplir le mien. » Un quart d’heure plus tard, il tombait frappé en avant de sa brigade.

Voyant que les attaques de l’ennemi contre la Bicocca, loin de se ralentir, devenaient de plus en plus vives, le général en chef envoya vers cinq heures ordre à la deuxième division de prendre l’offensive pour faire une diversion, enjoignant en même temps à la première division d’appuyer le mouvement de la deuxième. Aussitôt les généraux Bés et Durando s’avancèrent droit à l’ennemi ; mais, tandis que ce mouvement s’exécutait, nos rangs éclaircis se débandaient, les Autrichiens s’emparaient définitivement de la Bicocca, et l’aile gauche reculait jusque sous les murs de la ville. Bientôt après, le centre, pris en flanc, dut battre en retraite. En même temps l’aile droite, attaquée de flanc sur sa droite, se retirait à son tour, soutenue par un régiment de la garde et une batterie d’artillerie légère, amenée à son secours par le duc de Savoie.

Ce fut donc le succès de l’ennemi sur notre gauche qui décida la perte de cette sanglante et honorable journée, et entraîna la retraite de notre centre, qui marchait en avant, puis de notre droite, qui, découverte sur sa gauche par ce mouvement de retraite du centre, se vit un instant exposée à être prise en flanc des deux côtés. Il était six heures du soir ; l’ennemi ouvrait le feu de batteries postées sur la position que nous venions d’abandonner. Plusieurs pièces, placées sur les bastions de la ville et en avant de la porte de Mortara, cherchaient à retarder sa marche. Le duc de Gênes, avant eu trois chevaux blessés sous lui, se mit à la tête de quelques bataillons et se jeta de nouveau dans la mêlée ; mais les soldats, fatigués, répugnèrent à renouveler une lutte qu’ils regardaient comme désespérée. Le roi, grave, abattu, mais impassible, revenait au pas vers la ville, s’arrêtant souvent, comme le lion poursuivi par les chasseurs, pour faire face à ses adversaires. Le général Chrzanowshi, fidèle à ses devoirs jusqu’au dernier instant, ne quittait pas l’arrière-garde et cherchait encore à prolonger la lutte, alors même qu’elle était sans espoir. Au moment où le roi rentrait en ville, un jeune officier d’artillerie passa près de lui en criant vive le