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faisait valoir un droit quel qu’il fût. Les puissances belligérantes et médiatrices ont dû examiner si ce droit était fondé. Elles ont décidé la question en faveur du Danemark ; leur décision, qu’elles se sont engagées à maintenir, compte aujourd’hui plus d’un siècle d’existence, et n’a pas cessé durant ce laps de temps d’être considérée comme la pierre fondamentale du système politique et de l’équilibre de l’Europe septentrionale. Quelle étrange prétention de venir aujourd’hui remuer les points de droit et les considérans qui ont alors servi de base à l’action des puissances, et de faire en quelque sorte la révision d’un procès qui a été jugé depuis un siècle ! Comment voulez-vous que les puissances qui, à cette époque, ont prononcé l’arrêt, aussi bien que celles qui ont reconnu cet arrêt, autorisent une telle manière de procéder, dont le premier effet serait de remettre en litige l’organisation internationale et intérieure de tous les états

Les juristes allemands se tromperaient d’ailleurs s’ils pensaient que la garantie de la France et de l’Angleterre a été donnée au Danemark sans examen et dans le seul intérêt de lui complaire ou d’abaisser un ennemi : elle avait un but plus haut ; elle se rattachait à des considérations plus élevées ; elle était destinée à affermir la paix générale et à trancher les contestations qui pouvaient mettre en péril ce grand intérêt dans le Nord. En 1720, le régent écrit à M. de Campredon, ministre de France près la cour de Suède, au sujet de la déclaration des garanties sollicitées : « Vous ne pouvez donner cette déclaration que conditionnellement et dans la supposition de la paix entre la Suède et le Danemark, et sur le fondement de la restitution de Stralsund et de l’île de Rügen à la Suède. C’est dans le même sens que Dubois s’expliquait auprès du ministre de Danemark à Paris : « Son altesse royale m’a ordonné de vous marquer que le roi accordera au roi votre maître sa garantie du duché de Schleswig conjointement avec le roi de la Grande-Bretagne, lorsqu’il sera maintenu dans la paisible possession de ce duché par les traités qui rétabliront la tranquillité dans le Nord. N’est-il donc pas évident que la France n’accorde sa garantie qu’en vue de l’intérêt général des puissances du Nord ? Que vient-on se plaindre ensuite de l’absence du duc de Gottorp dans les négociations ? Qu’importe même qu’il ait élevé la voix pour protester ? Quand la paix fut conclue, le duc de Gottorp n’était plus une puissance belligérante ; son pays avait été conquis, il n’était qu’un prétendant, et le droit de décider de son sort appartenait aux états belligérans et médiateurs. Tant qu’une puissance souveraine s’intéressait aux prétentions du duc de Gottorp et mettait son influence au service de ce prince, il avait, pour rendre à ses prétentions leur autorité, il avait le moyen des négociations et les chances d’une nouvelle guerre ; sinon il était mis hors du débat, et la paix conclue au profit du Danemark remplissait toutes les conditions de la légalité. Au reste, y eût-il des doutes à cet égard, ils seraient levés par la renonciation officielle de la maison de Gottorp en 1767 et 1776. De ce jour elle a reconnu elle-même la validité des traités qui la dépossèdent et qui unissent à perpétuité pleinement et entièrement le duché de Schleswig au royaume de Danemark.

Si grave que soit cette considération, elle n’arrête pas les défenseurs de la charte de 1460. Ces garanties, disent-ils, ne concernent que les prétentions de la maison de Gottorp ; elles ont pu modifier la situation du Schleswig sous le rapport du droit des gens, mais elles n’ont dû rien changer au droit politique