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de jeter des croisées leurs petits enfans sur les assaillans. » Et cette monstruosité grotesque est louée comme de l’héroïsme. Certes, c’est après de pareils traits qu’il y a lieu de répéter, avec le brave : général Leflo, les vers de Corneille :

Et je rends grace aux dieux de n’être point Romain
Pour conserver encor quelque chose d’humain.

La montagne avait réussi contre le général Oudinot ; elle s’est crue en veine de succès, et elle a attaqué la lettre du président de la république au général Oudinot. Cette lettre est-elle un acte politique ? Nous n’hésitons pas à répondre Oui ! et il nous semble que c’est l’acte d’une bonne politique, non-seulement parce qu’elle encourage et soutient notre expédition, mais parce qu’elle en proclame l’intention et le but, en face du vote de l’assemblée qui faussait cette intention et ce but. Ainsi le président se prononce contre l’assemblée ? — Oui, et c’est son droit, puisqu’il est responsable. Plus nous allons, plus nous voyons que ceux, qui ignorent le plus la constitution de 1848 sont ceux qui l’ont faite. Les plus hardis républicains gardent, sans le savoir, les routines de la monarchie constitutionnelle. Ils croient toujours qu’avec un vote de l’assemblée on peut changer le ministère et la politique du gouvernement ; c’est une grosse erreur depuis 1848. Le ministère et le président sont responsables ; ils peuvent donc être mis en accusation et condamnés à la déchéance. Mais tant qu’ils ne sont pas déchus par jugement, ils gouvernent comme bon leur semble, quelle que soit la volonté de l’assemblée. C’est comme dans l’ancienne Constantinople où le sultan et son vizir gouvernaient absolument, tant qu’ils n’étaient pas étranglés par les janissaires. La monarchie constitutionnelle était un gouvernement où tous les pouvoirs étaient tenus de se mettre d’accord. La république de 1848 a dispensé les pouvoirs publics de cette loi d’accord et d’unité. La chambre est souveraine, elle ne peut pas être dissoute ; mais, de son côté, le président est responsable et, par conséquent, absolu, tant qu’il n’est pas déchu. La chambre peut avoir une politique, le président peut en avoir une autre. Qui jugera ? qui sera arbitre ? personne. La chambre ne peut pas en appeler au pays par une dissolution ; le président non plus ; le président peut seulement être déchu, mais il ne peut pas être dirigé ou corrigé. Il n’y a pas d’autre moyen de l’empêcher d’être un despote que d’en faire un martyr. Notre gouvernement ressemble à un chariot qui a, il est vrai, ses deux roues ; seulement on a oublié de les lier et de les unir.

La lettre du président est un acte de politique personnelle, mais un acte permis et légal, ne l’oublions pas, depuis 1848. Le roi n’aurait pas pu écrire cette lettre ; le président l’a pu. Une des causes de la révolution de février a été, dit-on, la trop grande influence personnelle du roi : soit ! C’est sans doute pour cela qu’on a fait de l’influence personnelle du président un des principes fondamentaux de la république. Ce qui était l’abus est devenu le droit. O sagesse des révolutions !

Comme la lettre du président est un acte légal, le général Changarnier a pu légalement aussi la mettre à l’ordre du jour de l’armée ou l’envoyer aux généraux sous ses ordres, comme on voudra. Nouvelle dénonciation dans l’assemblée