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prême sans lequel les Magyars ne peuvent en aucune façon compter sur une victoire définitive, sans lequel même ils n’ont peut-être aucun moyen d’échapper, dans un prochain avenir, à une ruine complète, inévitable ; c’est un sacrifice pourtant qui coûte à leur amour-propre presque autant que la mort même, qu’ils promettent et ajournent, qu’ils font en parole et retirent en fait, qu’ils tiennent d’ailleurs pour une abdication de leur destinée. Jetés comme en un étroit campement entre les deux grandes races germanique et slave, sans issue ni sur la mer ni sur un fleuve libre, ils soutiennent contre les fatalités historiques une lutte inégale, qui les remplit d’incertitudes, les exalte, les aveugle, paralyse leurs résolutions dans le succès de même que dans la défaite. C’est l’espoir qui reste encore à l’Autriche.

M. Kossuth veut-il, oui ou non, l’indépendance de la Croatie, de la Waïvodie serbe et de la Transylvanie ? Combat-il pour le principe de l’égalité des races et des nationalités, ou bien pour la prépotence de la race magyare sur les races diverses de la Hongrie ? Veut-il la déchéance de la maison de Habsbourg, ou bien ne veut-il que le rétablissement du vieil empereur autrichien, roi constitutionnel de Hongrie à la place du jeune empereur créé par l’influence slave ? Il est permis de conserver des doutes sur tous ces points et de penser que M. Kossuth, arrivé au moment de prendre une résolution décisive, hésite et s’abîme dans les perplexités d’une situation périlleuse, même au sein de la victoire.

Sans doute, le mouvement libéral de la Bohème et de la Croatie prend chaque jour plus de puissance, à mesure que s’accroît l’impopularité du ministère allemand Stadion-Schwarzemberg. L’élévation d’un Allemand, le général Welden, au commandement en chef de l’armée austro-slave n’était pas de nature à diminuer le mécontentement des Tchèques et des Illyriens. Les hommes les plus avancés du slavisme libéral ont repris l’autorité qu’ils avaient un moment abdiquée entre les mains de Jellachich. C’est ainsi que le docteur Gaj d’Agram, le promoteur de l’illyrisme et le principal auteur de la nomination de Jellachich aux fonctions de ban, paraît aujourd’hui aller beaucoup plus loin que le vaillant chef des Croates. Enfin le ban lui-même, après avoir, avec une persévérance et une abnégation intelligentes, essayé inutilement d’éclairer l’Autriche sur les périls de la politique du prince Windiscligraetz, a été à son tour entraîné plus rapidement qu’il ne l’aurait voulu à se séparer de l’armée autrichienne pour passer sur le territoire slave et ne plus consulter que l’intérêt exclusif des Slaves méridionaux. Ces évolutions politiques et militaires des chefs slaves affaiblissent grandement l’armée autrichienne. Cependant l’intention des Croates ne paraît pas être de s’insurger directement contre l’Autriche, mais seulement de sauvegarder leur indépendance dans le cas où l’Autriche allemande serait définitivement battue par l’armée hongroise. S’il était vrai qu’en prononçant la déchéance de la maison de Habsbourg la diète magyare eût commis la faute de lui faire un crime des concessions promises à la Transylvanie et à la Croatie, les Serbes et les Croates, même les plus libéraux, combattraient jusqu’au dernier à côté des impériaux contre les prétentions du magyarisme. Nous sommes en ce point de l’avis du journal de la Société slave de Paris, on verrait recommencer une nouvelle guerre civile, plus désespérée et plus furieuse encore que celle d’aujourd’hui ; et lorsque nous étudions dans l’historique de