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chez Mme de Narischkine ; mais, quand il était question de soumettre ces plans à Napoléon, il était rare que M. de Caulaincourt lui-même n’en fût pas effrayé ou ne les trouvât chimériques. Pendant ce temps Napoléon se trouvait entraîné en Espagne, et comme poussé jusqu’au terme extrême de ses vues par l’état de plus en plus critique des affaires.

Les pensées successives de Napoléon au sujet de l’Espagne se traduisent par des faits. D’abord, il exige de M. de Lima l’expulsion des Anglais du Portugal. Il ne veut ensuite que faire intervenir l’Espagne en Portugal, pour forcer cette dernière à accomplir l’expulsion. Puis, il prépare une armée pour forcer la main à l’Espagne dans cette question et intimider le prince de la Paix. Sa brouille avec le saint-siège, ses affaires avec la Prusse et la Russie, suspendent quelque temps l’accomplissement de ses intentions ; mais, au mois de juillet 1807, Napoléon, laissé libre par la paix de Tilsitt, et plus que jamais préoccupé de la mer, veut que l’Espagne prenne part à son système. L’inertie volontaire de Godoy et l’état déplorable de la Péninsule l’irritent encore ; sa colère, son ambition, se colorent, à ses yeux, de l’apparence d’une nécessité politique ; l’état prospère de ses finances, parfaitement exposé par M. Thiers, achève de lui débarrasser les mains, ses projets grandissent. Il envoie Murat à Madrid.

Il n’a pas échappé à M. Thiers que, dès son retour d’Italie où il avait vainement tenté de se rapprocher de son frère Lucien, Napoléon avait demandé au sénat une levée de quatre-vingt mille conscrits sur le contingent de 1809, levée votée avec un enthousiasme complaisant, bien que la paix de Tilsitt eût rendu en apparence superflue cette augmentation de nos forces militaires. C’est qu’en effet notre armée s’était diminuée par l’écoulement de troupes, secret et presque insensible, qui se faisait en Espagne, mesure qui semble attester que Napoléon avait déjà conçu de vastes desseins ou s’attendait à de grands événemens de ce côté. Le corps expéditionnaire du Portugal, composé de quarante mille hommes, et qui avait été formé à Bayonne, mais qui, selon le traité de Fontainebleau, ne devait entrer en Espagne que sur la demande formelle du gouvernement espagnol, porté à l’insu de celui-ci à soixante mille hommes, avait passé la frontière, et prenait, non pas la route de Lisbonne, mais celle de Madrid. Nous voyons dans l’écrit du général Foy que quatre mille hommes d’infanterie et quatre mille hommes de cavalerie, avec un parc de quarante pièces d’artillerie, commandés par Dupont, avaient franchi la Bidassoa, prenant la route de Valladolid, où se trouvait leur quartier-général. Un second corps, commandé par Moncey, comptait vingt-cinq mille hommes d’infanterie, trois mille chevaux et une artillerie nombreuse ; il avait promptement