Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

essaya trop tard de s’élever aux graves sujets et aux sérieuses entreprises il en était digne par l’intelligence, mais les mœurs et le cœur faisaient défaut. Tandis qu’il prodiguait sa parole avec le jeu de baguette d’un enchanteur et d’un son de voix de sirène, son regard semblait éteint et noyé ; l’ame était absente. Ce peintre rival qui voulait reprendre Buffon sur la nature et refaire quelques-uns de ses tableaux, ne sortait plus, dans les derniers temps, du fauteuil où il trônait ; il était devenu pâle à force de garder la chambre ; il avait l’air d’une plante étiolée. Aussi conseillait-il aux jeunes talens la serre chaude pour les pousser comme des fruits hâtifs. C’était bien lui qui se vantait à Chênedollé de résoudre un problème de géométrie jusque dans l’éclair du plaisir : cette fatuité achève de le peindre. Il disait encore : « Le cri de la plume me fait mal, je déteste d’écrire. » Il ne fut donc qu’un admirable virtuose et ne put accomplir son œuvre comme écrivain ; sachons pourtant ce qu’on a perdu en lui.

Au moment où Rivarol, près de finir, lançait ainsi ses bouquets d’artifice à Hambourg et à Berlin, un homme qui se piquait d’insolence et presque de fatuité aussi, mais avec cela d’une vie grave, d’une ame ferme, et nourri aux fortes études, Joseph de Maistre, commençait à marquer son rang ; ce rôle final souverain que Rivarol avait rêvé, ce plan hardi de réaction contre Voltaire et de restauration des vraies doctrines politiques, de Maistre le prit en main dès le premier jour ; et s’il y mêla trop souvent ce que j’appelle du Rivarol, c’est-à-dire de l’homme du monde et du talon rouge, tout cela en lui se releva, s’agrandit, s’honora par des inspirations supérieures : tellement que si, un jour, un soir, aux bords de la Newa, dans un de ces étés du nord qui sont si beaux, quelques amis se rassemblent pour converser avec lui et pour l’entendre, on pourra alors, de bien loin sans doute quant à la grace, mais sans profanation du moins quant à la hauteur des idées, — on pourra évoquer le souvenir idéal de Platon. Il n’y en avait qu’un faux air dans cette soirée de Ham, malgré la prétention de Rivarol de renouveler les jardins d’Acadème.

Rivarol aurait pu être un grand critique littéraire, et il l’était en causant. Sous ses airs fats, il avait éminemment du bon sens. On a vu à quel point il analysait les contemporains les plus admirés. Il savait le défaut de la cuirasse de chacun, et y pénétrait hardiment. Il les jugeait d’égal à égal et les classait d’une vue sûre. Quant aux petits grands hommes, il se plaisait à les rassembler « comme des atomes sous sa lentille », en disant : « Voyons si nous en pourrons tirer quelque chose. » Toutes ses plaisanteries (signe remarquable de sa vocation) étaient littéraires. Si on lui faisait entendre qu’il était parfois cruel, il disait que « l’homme de goût a reçu vingt blessures avant d’en faire Une, » et le mot est charmant. Chênedollé a eu raison de remarquer