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de l’enthousiasme allemand enté sur une base de glace géométrique. — B. C. est la production d’un siècle philosophique et du dernier terme de la civilisation. Il n’y a plus là, ni cœur, ni enthousiasme, ni, etc. » On voit le ton. J’aime mieux noter ceci : « B. C. dit qu’il n’y a que deux livres qu’il ait lus avec plaisir depuis la révolution, l’Histoire de Florence (de Machiavel), et le cardinal de Retz. »

Chênedollé connut encore dans son séjour en Suisse Mme de Montolieu ; mais la seule inspiration qu’elle lui causa fut l’ennui : passons vite. — Ces années de retraite (1797-1799) furent très profitables à Chênedollé. Il mit ordre à ses idées ; il acheva de secouer le joug de Rivarol et d’émanciper son esprit par la lecture et la réflexion. Il trouvait un aimable compagnon d’études dans Adrien de Lezai, noble et délicat esprit (mens pulchra in corpore pulchro), que l’administration enleva bientôt aux lettres. M. de Lezai, jeune, ne se plaisait qu’à la lecture de Pascal et de Montesquieu. Il aimait à pascaliser, comme il disait lui-même. Il nous a volé ce mot-là, à nous qui prétendons presque avoir inventé Pascal aujourd’hui.

Cependant Mme de Staël s’intéressait vivement à Chênedollé, comme elle faisait pour tout talent et pour toute infortune. Elle avait entendu de ses vers, et elle disait de lui : « Ses vers sont hauts comme les cèdres du Liban. » Elle travailla à sa radiation de la liste des émigrés, et, comme Fouché avait été professeur du jeune homme à Juilly, les voies étaient toutes ménagées. Rentré en France, Chênedollé fut par elle conduit un matin chez Fouché. Celui-ci le regarda d’abord de son air froid et politique ; puis, tout d’un coup, il le reconnut, et, lui tendant les bras, il l’accueillit avec sa physionomie de Juilly, — d’avant les crimes.

Chênedollé passa trois années à Paris (1799-1802), et continua d’y fréquenter Mme de Staël ; mais déjà il avait connu Chateaubriand, et cette chaîne d’or, dont il se croyait affranchi depuis sa rupture avec Rivarol, était renouée, et par un plus digne.


V. — LIAISON AVEC CHATEAUBRIAND ; – AVEC MME DE BEAUMONT.

Chateaubriand parle un peu légèrement de Chênedollé dans ses Mémoires, et il ne lui accorde pas la justice qu’il devait peut-être à son, dévouement et à son amitié. Quand on écrit ainsi ses Mémoires à si longue distance, il y a des raccourcis qui suppriment ou qui faussent les rapports réels qu’on a eus avec les hommes. Des années d’intimité, de confiance et de cordialité se résument en une phrase d’une brièveté presque épigrammatique.

« A trente ans, dit Chênedollé, nous nous sommes connus à Paris, Chateaubriand et moi. Il arrivait de Londres, moi de Suisse. Nous étions tous deux émigrés. Nous avions même âge, mêmes goûts, même amour de l’étude, même désir de la gloire ; nous méditions tous deux de grands