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vif. Je vous embrasse tendrement, en attendant votre réponse. Je loge hôtel Marigny, rue Derrière, à Fougères.

Votre meilleur ami,

« CHATEAUBRIAND. »


Un trait caractéristique se dessine déjà : Chênedollé, au lieu de se lancer, se retire. Chateaubriand, qui possède si bien le génie de l’occasion, et qui sait que pour la renommée aussi il est vrai de dire : Carpe diem, le presse, le parcelle ; il lui demande les quatre chants (le Génie de l’Homme), le poème épique (cette Jérusalem détruite qui ne sera jamais achevée). Chênedollé écouta trop le démon de la procrastination, comme on l’a appelé. Il n’invoqua pas assez la Muse de l’achèvement, cette muse heureuse, la seule qui sache nouer la couronne.

Il était poète, mais pas seulement en vers ; il aimait tout de bon l’ombre des bois, la paix retrouvée des prairies natales, l’oubli des heures. Il était sensible, non pas seulement par crises ; il souffrait mortellement d’une peine de cœur, de la perte d’une personne chérie ; il eut en ces années de ces douleurs qui ne laissèrent pas à son talent toute sa liberté, et qui en atteignirent profondément peut-être le ressort. « Que me fait la gloire, à moi (se disait-il en ces heures d’abattement) ? Elle ne me touche pas là où j’ai mal, elle ne guérit pas la plaie secrète de mon cœur. » Tenu, à ce qu’il semble, un peu sévèrement par son père, il désira un moment tenter la fortune sur les pas de son ami ; mais M. de Chateaubriand n’était encore que secrétaire d’ambassade, et ne pouvait disposer d’aucune place avec certitude. Les lettres suivantes se rapportent à ce projet, qui aurait rattaché Chênedollé à la carrière diplomatique.


M. de Chateaubriand à M. de Chênedollé père.

« Paris, 25 mai 1803.

« Monsieur,

« Lorsque je passai par Vire il y a six mois, j’eus l’honneur de vous dire qu’on m’avoit promis de m’envoyer à Rome en qualité de secrétaire de légation et que j’espérois pouvoir faire entrer M. votre fils avec moi dans la carrière diplomatique. Je pars à l’instant pour ma destination ; mais les affaires se sont arrangées de sorte que je ne puis emmener à présent Chênedollé. Une personne doit venir me rejoindre dans six semaines ou deux mois en Italie, et si vous y consentez, voici ce que je vous propose

« Chênedollé viendra me rejoindre à Rome avec la personne que j’attends. Il ne lui en coûtera rien pour les frais de route ; mais, comme il faut qu’il vive à Rome en arrivant (vu que je ne puis pas avoir la certitude complète de le placer dans l’ambassade au moment même de son arrivée), il faudroit que vous lui fissiez en Italie une petite pension égale à celle que vous lui feriez partout, s’il ne vivoit pas sous le même toit avec vous. Je crois pouvoir vous assurer que Chênedollé ne sera pas six mois en Italie avant que j’aie trouvé le moyen de le placer agréablement. Les beaux talens de M. votre fils, l’amitié qui me lie avec