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route. Nous serons encore huit jours ici. Mandez-moi comment vous avez trouvé votre famille. Le voyage d’Italie est très peu cher. Il y a d’ici à Florence une diligence qui passe par Milan et qui vous rendra à Florence pour cinq louis. On se charge de vos bagages, et on est, dit-on, parfaitement traité. De Florence à Rome, on trouve des cabriolets qui vous mènent en deux ou trois jours à Rome à un prix très modique. De sorte que vous arrivez au Capitole pour dix louis au plus. Les Lyonnais vont maintenant en Italie aussi facilement qu’à Paris. Ce voyage n’est plus rien. — Bonjour, mon cher ami, je vous aime tendrement et pour la vie. Comptez sur moi, aimez-moi, et croyez que vous n’avez pas au monde d’ami plus fidèle et plus dévoué. Mille choses à tous nos amis. — Écrivez-moi, je vous écrirai. »


Au même.

« Rome, samedi, 17 messidor (16 juillet 1803).

« Voici, mon cher ami, l’état des choses et ce qui nous attend désormais pour l’avenir.

« Je ne pourrai pas satisfaire mon cœur ; je ne pourrai pas gagner quelque chose sur l’homme[1] dans la position où je me trouve. Loin de vouloir rien entendre, il renvoie quelques malheureux qui étoient rendus ici, et qui lui étoient vivement recommandés. Mais mon parti est pris irrévocablement : je ne demeurerai qu’un an ici, jour pour jour. Au bout de cette année, si je ne suis pas placé d’une manière indépendante, je fais un saut à Athènes, puis je reviens au mois d’octobre (1804) m’ensevelir dans une chaumière aux environs de Paris, si je le puis, ou dans quelque province de la France. Si vous voulez alors venir y vivre et y mourir avec moi, je vous offre une durable hospitalité.

« Si, au contraire, on me donne une place indépendante au bout de mon année, alors vous venez sur-le-champ me rejoindre. Je vous en fournirai les moyens, et nous demeurerons ensemble. Ainsi, dans tous les cas, nous ne serons séparés que quelques mois, et j’espère que vous aurez autant de plaisir à vous fixer auprès de votre meilleur ami, qu’il en aura à vous retrouver.

« La vie ici est ennuyeuse et très pénible. Les honneurs, mon cher ami, coûtent cher ! Heureusement je n’en porterai pas long-temps le poids. Au reste, vous aurez su par notre bonne amie, Mme de Beaumont, que sous les rapports littéraires je n’ai point à me plaindre. On ne sauroit avoir été accueilli comme je l’ai été. Mon ouvrage est traduit, et le pape va, dit-on, le faire retraduire et réimprimer au Vatican. Mais qu’est-ce que tout cela, quand le cœur est serré, triste ? Si vous saviez ce que seroit ce pays s’il n’avoit pas ses ruines ? Le cœur me saigne ; pauvre religion !

« Notre amie doit être sur le point de partir pour le Mont-d’Or ; comment est-elle ? J’espère que son voyage au midi sera bien utile à sa chère santé, et, sous ce point de vue, nous ne saurions trop hâter son voyage. Écrivez-vous à Lucile[2] ? Retournez-vous chez votre père ? Comment est-il pour vous ? Je tremble en pensant à lui. Écrivez-moi, mon très cher ami ; j’ai été vivement ému en apprenant que vous aviez été malade. Vous avez dû recevoir une lettre de moi ; croyez,

  1. Le cardinal Fesch.
  2. Lucite, ou Mme de Caud, si connue depuis les Mémoires d’Outre-tombe, la plus jeune des sœurs de M. de Chateaubriand, celle dont la figure lui a servi de type pour l’Amélie de René.