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dans ses arrangemens que la Finlande, don précieux qu’elle paya seulement de quelques flatteries stériles et de quelques blocs de pierre, accordés quarante ans plus tard à la tombe du héros ?

Quoi qu’il en soit, nous voyons Napoléon accomplir rapidement sa destinée. Philippe II disait quelquefois au début de ses grandes entreprises : « Le temps et moi, nous en valons bien deux autres. » Napoléon eut le malheur de dédaigner trop souvent ce puissant allié de Philippe II, surtout dans cette affaire. Nous voyons dans un beau travail de M. Mignet comment Louis XIV prépara l’affaire de la succession espagnole, avec quel soin il ménagea l’Espagne, quelles recommandations il adressait à ses ambassadeurs, auxquels il enjoignait sans cesse de plaire aux Espagnols, de s’adapter à leurs goûts et jusqu’à leurs préjugés, et cependant, malgré tant de précautions et de lenteurs, Louis XIV se mit à deux doigts de sa perte. M. Thiers estime que la politique de Louis XIV était celle qui convenait à la France, et qu’elle n’avait rien de trop grand pour Napoléon. Rien n’était trop grand pour Napoléon, sans doute ; mais Louis XIV lui-même a-t-il agi selon les besoins de son temps et de son peuple ? Juger des actes d’un souverain et d’un gouvernement par le plus ou moins de succès de leurs combinaisons est une mauvaise méthode ; mais, tout résultat à part, les deux systèmes politiques de Louis XIV et de Napoléon à l’égard de l’Espagne étaient-ils bons ? Pouvaient-ils devenir profitables, même s’ils avaient été exempts de fautes ? Qu’il nous soit permis d’en douter. Je pense, pour ma part, qu’en méditant davantage sur la conduite de Louis XIV, Napoléon se serait arrêté sur la pente qui l’entraîna. M. Mignet l’a bien dit : « Louis XIV avait à choisir entre sa famille et la France. » Napoléon se trouvait dans une alternative semblable. Dans le conseil qui précéda l’acceptation du testament de Charles II, l’homme le moins éminent du cabinet, le duc de Beauvilliers, se livrant à la seule inspiration de son bon sens, se prononça contre l’envoi de Philippe V, et osant combattre Torcy, peut-être même Mme de Maintenon dans la personne de Torcy, prononça ce mot qui ne fut que trop vérifié : « Ce sera la ruine de la France. » La prédiction du duc de Beauvilliers a été accomplie deux fois, je pourrais dire trois fois même, car la dernière alliance espagnole que contracta la France, et ses éventualités, comptent, à mes yeux, parmi les causes qui ont amené les récens malheurs de notre pays.

Je me hâte de quitter ce terrain. Il est inutile de rappeler aux lecteurs de ce recueil les événemens de 1809. Ils sont encore présens à leur pensée, et le livre de M. Thiers les fera revivre plus complètement à leurs yeux : récit attachant où l’on suit avec une douleur mêlée d’admiration cet homme si grand, si merveilleux dans le mal comme dans le bien. Quelles ressources dans ce génie ! quelle profondeur dans la