Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je suis fort sujette à la paresse. Je vous recommande surtout de me faire part de tous vos soupçons à mon égard ; cette preuve d’intérêt me sera infiniment précieuse. »

Cette lettre était bien faite pour troubler un cœur tendre et pour l’enchaîner encore davantage. Au moment de retourner en Normandie, Chênedollé sollicitait de son amie avec ardeur la faveur de l’aller revoir, espérant la faire revenir sur son refus. Elle lui écrivait :

« Ce 1er juillet 1803.

Je vais répondre de suite à votre lettre du 7 messidor, parce que je pars aujourd’hui pour la campagne, où il me sera moins facile de vous écrire. Je suis bien touchée de l’empressement que vous témoignez de me voir ; mais, en vérité, cela n’est guère possible. Si vous connoissiez ma bizarre position, vous ne seriez pas étonné de ce que je vous dis. Si pourtant il est absolument essentiel que vous me parliez, venez donc me trouver, en dépit de tout, à Lascardais, chez Mme de Chateaubourg, près de Saint-Aubin-du-Cormier, à quatre lieues de Fougères, sur la route de Rennes.

« Je vous prie de ne point me parler dans vos lettres de ce voyage. Si vous persistez à vouloir l’exécuter, marquez-moi simplement, quelque temps avant, que tel jour vous comptez accomplir le projet dont vous m’avez fait part. Si j’ai le plaisir de vous voir, je vous dirai le pourquoi de ces précautions, qui doivent vous paroître folles et qui pourtant ne sont que simples. Tout ce que vous saurez pour le moment, c’est que j’ai la certitude qu’on voit mes lettres et celles que je reçois. Je vais faire en sorte que celle-ci évite le sort des autres. Je vous avoue que ce n’est pas sans impatience que je vois qu’on cherche à me dérober la connoissance de mes sentimens et de mes pensées les plus intimes, et que je m’indigne que les lettres des personnes qui m’écrivent tombent en d’autres mains que les miennes. Je suis surprise que mon frère ne vous ait point encore écrit ; il ne peut sûrement pas vous avoir oublié. Attendez-vous au premier moment à recevoir de son griffonnage. Je vous confie bonnement que la chose du monde qui me rendroit la plus heureuse, ce serait de voir mon frère dans le cas de pouvoir vous être utile. Adieu ; je vous écris en courant, ayant beaucoup de petits arrangemens à faire. Gardez de moi quelque souvenir, et ne négligez rien pour le rétablissement de votre santé.

« Adressez-moi désormais vos lettres chez Mme de Chateaubourg, à Lascardais, à Saint-Aubin-du-Cormier, près Fougères.

« Mandez-moi le plus tôt que vous pourrez que vous avez reçu cette lettre, et n’oubliez pas non plus de me marquer un certain temps d’avance le moment de votre arrivée à Lascardais, par la raison que je ne vais point être fixe nulle part une partie de l’été. »


Au même.

« A Lascardais, ce 23 juillet 1803.

« J’ai reçu le 19 de ce mois votre lettre en date du 12, par laquelle vous m’annonciez votre arrivée. Je vous ai attendu, comme bien vous pensez, avec impatience. Ne vous voyant pas paroître, je me suis livrée à mille diverses inquiétudes.